Entretien avec Bertrand Cuiller

(Au lendemain de la première de la reprise en plein air de la production de Rinaldo par le Festival de Saint-Céré – voir le compte-rendu, Bertrand Cuiller qui assurait la direction musicale de cette reprise a bien voulu nous accorder un entretien)

BaroquiadeS : Bonjour Bertrand et merci de nous accorder cet entretien. Cette reprise de Rinaldo dans la cour du château de Castelnau Bretenoux se déroule en plein air. Cette situation crée-t-elle des sujets particuliers de direction ?

Bertrand Cuiller : Pas vraiment pour le travail de direction. Le positionnement latéral de l’orchestre est particulier mais il ne génère pas trop de difficultés [NDLR : La formation orchestrale est, dans cette production, située le long de la scène, côté cour]. Le souci principal c’est le vent qui porte le son différemment selon sa force, sa direction, etc.Ensuite, par rapport au format classique avec fosse devant le plateau, il faut arriver à rester continûment au plus près du chant. Ceci peut créer des contraintes particulières pour le positionnement des chanteurs sur la scène et dans ce cas, il faut négocier avec la mise en scène. C’était le cas pour le Cara sposa de Rinaldo ou le Vieni o cara d’Argante. Pour moi, il était essentiel, tout particulièrement dans ces morceaux superbes, de garantir la cohésion entre le chant et l’orchestre. Il a donc fallu rapprocher les chanteurs des instrumentistes, de façon à ce que cette harmonie soit assurée.

BaroquiadeS : Et justement le maintien de cette harmonie dans les conditions du plein air, c’est un peu un challenge pour un chef ?

Bertrand Cuiller : L’opéra en plein air c’est un peu particulier parce qu’il faut battre la mesure de façon différenciée entre l’orchestre et les chanteurs pour éviter les décalages.Les chanteurs ont moins de retour que dans une salle traditionnelle mais ce n’est pas vraiment un problème car au niveau où se situe la distribution, les chanteurs chantent juste même s’ils n’entendent pas bien l’orchestre. La vraie question, c’est le rythme, c’est ce qu’il faut absolument assurer ensemble. C’est un vrai travail qui nécessite de se faire en confiance.

BaroquiadeS : Et les instruments anciens dans les conditions du plein air ? Ils doivent se désaccorder facilement ?

Bertrand Cuiller : Oui. Mais on a eu la chance d’avoir des clavecins très stables et des conditions météo très correctes pour la première. C’est mon choix d’avoir décidé de ne pas interrompre le déroulé de la représentation pour que nous réaccordions collectivement. Ce n’est pas très grave de finir un peu désaccordés si on préserve la cohérence et la fluidité du récit.

BaroquiadeS : Rinaldo a été aménagé, voire en partie réécrit, par Haendel lui-même. Qu’est ce qui est déterminant pour vous en termes de choix de la version, et des coupures ?

Bertrand Cuiller : Il s’agit ici d’un mélange des versions de 1711 et 1731. Ce qui guide les choix, c’est avant tout de construire une histoire accessible pour le public d’aujourd’hui, d’élaborer un narratif cohérent pour une audience qui, au Festival de Saint-Céré n’est pas familière du répertoire baroque [NDLR : cette représentation du Rinaldo constitue la première représentation d’un opéra baroque dans le cadre du Festival de Saint-Céré]. D’où la nécessité de coupures pour éviter de lasser le public compte tenu du format long de cet opéra [NDLR : plus de 3h30 de musique dans la version originale de l’opéra, ramené à 2h20 dans cette production].

BaroquiadeS : Vous intervenez dans le choix des ornementations par les chanteurs ?

Bertrand Cuiller : En principe j’évite. C’est le travail du chanteur baroque. A eux de proposer quelque chose qui corresponde à leur timbre, à leur voix, à leur énergie du moment. On discute ensuite cette proposition mais je respecte toujours leur proposition dès lors qu’elle est en harmonie avec l’œuvre et qu’elle est de bon goût.

BaroquiadeS : On avait le sentiment d’une belle énergie sur le plateau.

Bertrand Cuiller : Je confirme (rires). Il y avait une très bonne ambiance de plateau. C’était un vrai challenge car, même si certains chanteurs connaissaient la mise en scène, celle-ci a été beaucoup revue pour s’adapter au cadre particulier de la cour du château de Castelnau-Bretenoux. Nous avons eu peu de temps pour les répétitions et ça a été très intense. Et très fatigant pour les chanteurs. Il fallait rester soudés, collectifs, et je pense qu’on a réussi.

BaroquiadeS : Comment percevez vous le travail du metteur en scène ?

Bertrand Cuiller : Ici encore, on retrouve la nécessité du collectif, de la confiance, du “faire ensemble”. Je fais toujours tout mon possible pour aller dans le sens du metteur en scène, pour que ses idées se concrétisent sur le plateau. Ma seule limite, c’est que l’œuvre ne soit pas trahie, qu’on ne nuise pas à la musique. Je m’entends en particulier très bien avec Claire Dancoisne qui a fait la mise en scène de ce Rinaldo. Et elle aussi, elle a tout fait pour aller dans mon sens quand c’était nécessaire, comme par exemple pour le positionnement des chanteurs dont j’ai déjà parlé.

BaroquiadeS : Faire vivre un ensemble comme Le Caravansérail, c’est compliqué ?

Bertrand Cuiller : Oh que oui ! surtout aujourd’hui avec les financements qui se raréfient. Alors oui, c’est très compliqué pour un ensemble comme Le Caravansérail. J’ai parfois l’impression de passer plus de temps sur mon clavier d’ordinateur que sur celui de mon clavecin. Ça oblige aussi à planifier notre activité et notre développement de façon plus stratégique qu’autrefois. Mais je ne me plains pas car c’est une chance de faire ce métier. Jamais je n’arrêterai.

BaroquiadeS : Vous avez beaucoup évoqué le “faire ensemble” au long de cet entretien. C’est important dans le cadre artistique ?

Bertrand Cuiller : C’est essentiel, du moins pour moi. Je ne peux pas jouer avec des gens qui ne sont pas dans le partage. L’échange avec les musiciens, les qualités humaines, ce sont des “plus” absolus. Faire de la musique avec des gens, partager ça avec eux, c’est presque plus important que l’œuvre qu’on joue. Je suis toujours très attentif à “qui va faire quoi”, à côté de qui, à comment les musiciens vont interagir et à comment tout ça va se mélanger.Je prends une heure pour faire le plan de l’orchestre avant les représentations et j’ai plaisir à imaginer comment le placement des uns et des autres va permettre aux musiciens d’interagir, comment ils vont être ensemble.

BaroquiadeS : On vous sent aussi très attaché à la “démocratisation” de la musique, au fait de la porter au plus grand nombre. Comment faire pour y intéresser les jeunes, les faire revenir dans les salles ?

Bertrand Cuiller : La question est compliquée. L’économie de marché fait prévaloir la consommation sur la culture. Alors on fait du pansement dans les écoles pour compenser une politique culturelle défaillante. Nous mêmes avec Le Caravansérail, on a des projets dans des écoles. Ce qu’on fait avec les enfants, avec les jeunes, c’est magnifique, mais c’est du pansement. Les enfants sont très réceptifs et il faut travailler à leur faire comprendre qu’il y a une vie sans les écrans, qu’il faut apprendre à écouter, à repérer les détails, la technique. Le fait d’avoir abandonné la pratique instrumentale à l’école est une erreur. Même si les cours de flûte à bec étaient un peu ennuyeux (sourire), on apprenait le rapport au son, la dimension technique. Mais je suis persuadé que tout ça ce sont des cycles et qu’on est en bas de cycle. Il est donc important de continuer à faire des choses.

BaroquiadeS : Vous avez des projets pour le proche futur ?Des concerts à Paris ?

Bertrand Cuiller : Je crois qu’on jouera peu à Paris la saison prochaine. Mais j’ai beaucoup de projets et certains sont bien avancés. Un de ceux qui me tiennent le plus à cœur c’est un projet de composition clavecin solo pour ouvrir cet instrument à d’autres répertoires. Je vais reprendre aussi les concertos de Bach à trois et quatre clavecins. C’est un beau projet collectif. On devrait aussi enregistrer Another Fancy en forme de suite à A Fancy, qui sera consacré à la musique de scène anglaise au tournant des 17e et 18e siècles.

BaroquiadeS : On vous souhaite le meilleur pour la saison à venir. Merci beaucoup pour cet échange.

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