Epoustouflante (re)découverte !
De mars à juin 2024, le musée du Louvre avait consacré sa première exposition-dossier au chef d’œuvre de Jan van Eyck (1390-1441), Le Chancelier Rolin en prière devant la Vierge et l’Enfant, également appelé La Vierge du Chancelier Rolin. Peint vers 1435, le tableau est entré dans les collections du Louvre en 1800 sous l’impulsion du Directoire. L’œuvre (un ex-voto, peint à l’huile sur bois, de 66 cm de haut et 62 cm de large), jamais restaurée depuis cette entrée, a bénéficié d’une profonde restauration entre 2021 et 2024. L’allègement des couches de vernis, oxydées au fil du temps, a permis une spectaculaire redécouverte du tableau.
Aujourd’hui, la seconde exposition-dossier révèle une des toiles les plus fameuses de ses collections : Pierrot, dit autrefois Le Gilles de Jean-Antoine Watteau (1684-1721). Une œuvre qui demeure énigmatique tant par sa taille que par son sujet. Sa restauration a été, elle aussi, menée par le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) qui lui a rendu tout son éclat. L’exploration de ce tableau s’accompagne d’un rapprochement avec d’autres œuvres du peintre. Peintures, dessins, gravures, livres mais aussi photographies et extraits de films complètent la visite. En outre, l’exposition bénéficie de prêts de musées français et étrangers.
Jean-Antoine Watteau, plus connu sous le nom d’Antoine Watteau, est né le 10 octobre 1684 à Valenciennes. Quelques années après que la ville devint française à la suite des Traités de Nimègue (1678/79). Traités qui mirent fin à la Guerre de Hollande (1672-1678) entre la France et la Quadruple-Alliance. Watteau est le second fils d’un maître-couvreur et marchand de tuiles. Un père buveur, querelleur se montrant parfois violent envers ses enfants. Ce qui peut augurer d’une tendance au repli intérieur chez le jeune Jean-Antoine, augmentée d’une phtisie précoce. Néanmoins, sa famille encourage sa vocation artistique. Il est peut-être mis en apprentissage chez l’un des peintres renommés de la ville, Jacques-Albert Gérin (vers 1640-1702). Puis il part à Paris où il s’installe dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés. Il y croise certainement des artistes venus, comme lui, du Nord (Hainaut).
Sans protecteur, sans ressources, il se voit contraint de travailler. Un fabricant de peinture, sis au pont Notre-Dame, l’emploie pour des travaux de copie (images religieuses et tableaux de genre). Besogne fastidieuse. Mais son activité lui donne l’occasion de croiser divers peintres. Dont Claude Gillot (1673-1722) avec qui il se lie. Au point que ce dernier l’invite à s’installer chez lui. Gillot est, entre autres, décorateur de théâtre. « C’est chez lui qu’il se débrouilla complètement », dit Edme-François Gersaint (1604-1750). Prenant goût aux scènes de théâtre, fantaisies galantes, et arabesques. Il commence, cependant, sa carrière comme peintre d’histoire en participant à ce qu’il est coutume de nommer la « Querelle du coloris », un débat esthétique qui anime les artistes-peintres durant le dernier quart du XVIIème siècle. Les « rubénistes » (ou coloristes), à l’exemple de Pierre-Paul Rubens (1577-1640) privilégient la force de la sensation, la force de l’expression au travers de la couleur. Théorie mise en forme par le peintre et diplomate Roger de Piles (1635-1709). En revanche, les « poussinistes » (ou dessinateurs), avec Charles Le Brun (1619-1690) estiment que le dessin privilégiant la forme est le plus important. Dans cette querelle, Watteau contribue au triomphe de la couleur. Après plus de quarante ans de débats, l’Académie royale de peinture et de sculpture finit par pencher en faveur des rubénistes en acceptant Le Pèlerinage à l’île de Cythère de Watteau comme morceau de réception (1717).
Financier, collectionneur et mécène, Pierre Crozat (1661-1740) invite Watteau à résider au château de Montmorency (ancienne demeure de Charles Le Brun achetée en 1702). Il y réalise de nombreuses toiles représentant le parc. En 1704, Crozat achète un hôtel particulier à Paris, rue de Richelieu, où logera le peintre Charles de La Fosse (1636-1716). Ce dernier travaille avec Watteau pour la réalisation d’un plafond. Vers 1708, Watteau rompt avec Gillot pour entrer dans l’atelier de Claude Audran III (1658-1734). Et tente, sans succès, le prix de Rome (1709). Il devient cependant membre de l’Académie royale en 1712. Nombre de ses amis s’alarment à la fois de sa situation financière et de son état de santé. Il choisit alors de partir à Londres, peut-être pour consulter le docteur Richard Mead (1673-1754) médecin réputé et son fervent admirateur ? Sa santé se dégrade. Il rentre en France et vit quelques mois à Paris avant de terminer sa vie, à Nogent-sur-Marne, dans la propriété que possède son ami l’abbé Maurice Haranger (vers 1660-1735). Watteau meurt, le 18 juillet 1721, à 36 ans, emporté par la tuberculose, dans les bras de Gersaint.
Il peint donc l’essentiel de ses tableaux en une douzaine d’années. Tableaux qui se vendent cher. Tableaux maintes fois copiés. D’aucun ont voulu voir dans la peinture de Watteau l’esprit de la Régence. Ceci dans la mesure où le thème des fêtes galantes connait une fortune considérable en devenant l’emblème du goût français à travers l’Europe du XVIIIème siècle. Et pourtant ! La première décennie de ce siècle n’est pas exactement celle de la fête. Watteau nait dans un royaume en guerre et qui le restera pendant presque toute son existence (lire à ce sujet le chapitre « Watteau et son temps » de François Moreau, catalogue de l’exposition consacrée à Watteau, qui s’est tenue d’octobre 1984 à janvier 1985).
Rappel de quelques-unes de ses œuvres : Arlequin empereur dans la lune (vers 1707/09, Nantes)… La Partie carrée (vers 1713, San Francisco)… Fêtes vénitiennes (vers 1717, Edimbourg)… La Proposition embarrassante (vers 1715/16, Saint-Pétersbourg)… Pèlerinage à l’île de Cythère (1717, musée du Louvre)… La Sainte Famille ou Le Repos pendant la fuite en Egypte (1719, Saint-Pétersbourg)… L’Enseigne de Gersaint (1720, Berlin)… Les Comédiens italiens, (1719/20, Washington). Sans oublier le tableau au centre de notre chronique : Pierrot, dit autrefois Le Gilles (1718/19).
1804. Dominique Vivant Denon (1747-1825) fait l’acquisition de cette toile pour le musée Napoléon (ancêtre du Louvre). « On ignore qui commanda cette œuvre ; on ignore à quelle source iconographique la relier ; on ignore pourquoi, sans que rien ne l’annonçât, elle fit sa réapparition bien longtemps après la mort de l’artiste (…). De plus on ignore ce que cette peinture représente : un Gilles ou un Pierrot ? Et l’on est enclin à penser que, après y avoir vu longtemps un Gilles, personnage dont l’origine est inconnue, on y reconnaît aujourd’hui un Pierrot, c’est peut-être que ce rôle est parfaitement identifié dans la commedia dell’arte ce qui fournit au moins un fragment de certitude documentaire (qui) en réalité ne résout rien » (Gérard-Julien Salvy, 100 énigmes de la peinture, édition Hazan, 2018).
Curieusement, le tableau n’a pas été gravé et n’est pas mentionné dans le Recueil Jullienne (ensemble de plus de 600 gravures destiné à reproduire et diffuser l’œuvre de Watteau). Jean de Jullienne (1686-1766), riche négociant en teinture, collectionneur et ami de l’artiste, entreprend cette publication, de 1723 à 1735. Deux volumes sont consacrés aux dessins, deux autres à ses peintures. Il est toujours un outil incomparable pour qui veut connaître Watteau et son corpus artistique.
De fait, la première mention certaine à ce Pierrot ne date que de 1826. Il figure dans le catalogue de vente après décès de la collection du baron Vivant Denon. 1869. Un legs du docteur Louis La Caze (1798-1869) le fait entrer dans les collections du Louvre. Le XIXème siècle le réhabilite et lui rend hommage. Notamment le peintre anglais William Turner (1775-1851), les écrivains Théophile Gautier (1811-1872) ou Charles Baudelaire (1821-1867). Les frères Edmond et Jules de Goncourt s’intéressent à lui dans une étude consacrée à L’Art au XVIIIème siècle (1881). La photographie s’en empare. Au XXème siècle, le peintre Pablo Picasso (1881-1973) le représente à de multiples occasions. Paul Claudel (1868-1955) voit dans cette toile un « messager de nacre ». L’académicien Pierre Rosenberg ne dit-il pas que « ce tableau mériterait, à lui seul, une monographie ou une exposition » ? C’est cette toile, présentée au fond de la salle, en face de l’entrée, qui accueille le visiteur.
Le parcours de l’exposition se scinde en deux parties : à droite, la peinture est replacée « dans le contexte de la vie théâtrale du début du XVIIIème siècle et en regard de la production de Watteau et de ses contemporains » (communiqué de presse). A gauche, est évoquée « la fascination constante et féconde que le Gilles a exercée jusqu’à aujourd’hui sur les créateurs de tous horizons » (ibidem).
Pierrot et le théâtre comique au temps de Watteau
Le théâtre comique est omniprésent à Paris en ce début du XVIIIème siècle. Plusieurs troupes, compagnies privées le plus souvent, se livrent une concurrence acharnée pour conquérir le public. Deux troupes officielles ont leurs personnages attitrés : le valet manipulateur, Crispin, pour la Comédie-Française ; les serviteurs bouffons, Arlequin et Pierrot, pour le Comédie-Italienne. Un univers théâtral source d’inspiration pour Watteau. Sur un petit écran, un extrait (la scène de parade) des Enfants du paradis (1945), film de Marcel Carné (1906-1996) et Jacques Prévert (1900-1977) pour le scénario. Jean-Louis Barrault (1910-1994) y joue le rôle de Baptiste Deburau (Le mime Baptiste – Extrait à voir sur Youtube).
Une parade destinée à attirer le public. « Un acteur muet et immobile en costume de Pierrot est moqué par les autres comédiens » (cartel explicatif). C’est ici l’occasion de dire un mot sur le parcours destiné au jeune public : « l’instant cocotte » (voir photo). Il est proposé aux jeunes visiteurs de fabriquer une cocotte en papier à l’aide du pliage mis à disposition… de chercher les œuvres signalées par un petit dessin… de choisir un chiffre une fois celui-ci trouvé… d’actionner la cocotte en fonction du chiffre choisi et de relever le défi proposé. A noter que ce parcours concerne la présente exposition et celle consacrée aux « Figures du fou ».

l’instant cocotte © Exposition Revoir Watteau – Le Louvre – PARIS – Photo JMB
Du peintre hollandais Karel Dujardin (1626-1678), Les Charlatans italiens dits aussi Les Comédiens italiens, une huile sur toile de 1657. Une troupe itinérante. Elle donne une représentation en plein air, sur des tréteaux. Une toile de fond peinte sert de décor rudimentaire. Sur cette toile, le personnage peint de Matamore. Polichinelle passe sa tête par l’entrebâillement du rideau. Scaramouche, vêtu de noir, est présent sur scène. Sur le devant de celle-ci, Arlequin joue de la guitare. Quelques personnages attendent la représentation. Une femme lisant ce qui doit être un programme. Le bleu de son corsage et le rouge de sa jupe tranche avec la tonalité chromatique des bruns utilisés. Le paysage : quelques ruines en arrière-plan sous un ciel bleu ennuagé. Manifestement, le spectacle se déroule hors les murs.
Watteau et le théâtre
Nous l’avons dit, l’intérêt que Watteau porte au théâtre et à son univers vient de sa collaboration avec Claude Gillot. Néanmoins, il se concentre petit à petit sur le répertoire comique. Cette utilisation de la comédie et de ses codes détonne à une époque où le statut de comédien est toujours aussi peu valorisé.
Une huile sur toile de Théodor Netscher (1661-1728), Raymond Poisson dans le rôle de Crispin (vers 1680). Figure en pied d’un personnage qui regarde le spectateur en le saluant. Intégralement vêtu de noir, à l’exception d’une collerette blanche. Un manteau court, des grandes bottes qui montent jusqu’aux genoux. Une calotte noire sur la tête, tenant de sa main gauche, un chapeau. Il est campé dans un paysage indéterminé, encadré par des bosquets. Le personnage de Crispin, valet maladroit, est une création de l’acteur Raymond Poisson (vers 1630-1690). Grimaces, bredouillement, acrobaties sont son apanage.
Deux dessins (plume, encre noir et lavis gris avec rehauts de blanc ; vers 1696) de Bernard Picart (1673-1733) : Arlequin et Pierrot. Un Arlequin jovial, au costume fait de losanges cousus, tenant une batte de sa main droite. Un Pierrot à l’habit trop grand, veste à gros boutons, pantalon et chapeau vissé sur le crâne. Curieusement il tient un fusil et du gibier pend à sa ceinture.
Divers ouvrages. Le frontispice d’une pièce éponyme : Le Départ des Comédiens. Pierrot est présent, sur le côté, dans une attitude inhabituelle, la main gauche sur le cœur. Autre attitude singulière: visage expressif (bouche ouverte et yeux écarquillés) et bras levés sur l’eau-forte et burin intitulée, Habit de Pierrot (1728). D’après Charles-Antoine Coypel (1694-1752). Une illustration pour l’ouvrage de Luigi Riccoboni (1676-1753), Histoire du théâtre italien… Autre eau-forte et burin intitulée Quinson dans son habit de Pierrot de l’Opéra-Comique (vers 1750) de Claude Gillot, sans doute achevée par Jean Audran (1667-1756). Nous y voyons un Pierrot « debout figé, les bras ballants, mais sans la rigidité parfaitement frontale et symétrique qui sera reprise par Watteau. Il semble que cette attitude pourrait être une création de Gillot, ou tout au moins de son atelier » (catalogue).
Pour rester dans ce domaine, un Buste d’homme riant, dit aussi Portrait de Watteau dessiné par lui-même dans son lit (vers 1727). Eau-forte réalisée par Benoît Audran (1698-1772) à partir d’un dessin disparu. « Les traits sont identiques à quelques portraits assurés de l’artiste. Le personnage de Crispin en bas à gauche sur le Pierrot arbore ce même visage au sourire moqueur » (cartel).
Plusieurs peintures. Probablement de l’entourage de Gillot, Le Tombeau de maître André : Arlequin soldat gourmand (vers 1709/12). Une scène tirée d’une pièce créée en 1695. Scénographie des plus théâtrales ! Un décor citadin, probablement peint sur une toile de fond. Quatre personnages. Deux compères se disputent au sujet d’une bouteille de vin qu’ils ont volée : Mezzetin (vêtu de rose) s’apprête à tirer son épée. Scaramouche (en noir) semble vouloir empêcher Arlequin (vêtu de son costume bariolé, assis sur un tambour au centre de la composition) de la boire. Pierrot s’interpose entre les adversaires. Autre huile sur toile ayant, sans doute, la même origine mais dont l’exécution peut être, en partie, attribuée à Watteau : Arlequin empereur dans la lune (vers 1707/09). La scène est tirée d’une comédie éponyme créée par les comédiens italiens en 1684. Arlequin apparait dans une carriole, tirée par une mule, carriole « appelée à de multiples transformations comiques » (cartel) afin de berner le docteur Baloardo (personnage en costume noir sur la gauche) qui veut épouser Colombine. A proximité, la même scène sur une eau-forte de Gabriel Huquier (1695-1772) : si la disposition des personnages est identique, elle est inversée. Le fond est différent : une fontaine au lieu d’un ciel dont la couleur verdâtre est certainement le signe d’un mauvais état de conservation de la toile. Et la présence de Pierrot juché derrière la carriole d’Arlequin.

Entourage de Claude Gillot, Le Tombeau de maître André : Arlequin en soldat gourmand, vers 1709-1712, huile sur toile, 100 x 139 cm © Paris, musée du Louvre, département des Peintures, RF 194526 – Photo JMB
Watteau et la conception du Pierrot
Il est question, ici, de la genèse d’un mystérieux chef d’œuvre ! Nous l’avons dit et le répétons : cette toile n’est mentionnée nulle part dans les biographies posthumes de l’artiste. Ajoutons qu’il « détonne dans son corpus : trop grand, avec des personnages d’une singulière monumentalité, des carnations et des drapés exceptionnellement et délicatement modelés. Les petits tableaux du maître semblent traités avec une vitesse et une hardiesse d’exécution, une forme de brillante de désinvolture, que l’on ne retrouve pas sur le Pierrot » (catalogue). Une enseigne pour un café tenu par un ancien comédien ? Une publicité pour un spectacle de théâtre de foire ? Ou… ?
Certains éléments de cette toile apparaissent dans d’autres œuvres du peintre. Deux planches issues, d’un ensemble de six, signées Louis Crépy (1680-vers 1760), publiées en 1728. Deux planches dédiées aux zannis (personnages types de valets de la commedia dell’arte) vedettes que sont Arlequin et Pierrot. Ici, Pierrot extrait du Paravent en six feuilles. Une estampe décorative où le personnage de Pierrot, figure isolée sur une sorte d’estrade, entourée d’arceaux végétaux, est « droit comme un i », bras tendus le long du corps. Autre curiosité, cette aquarelle (vers 1713) intitulée La Coquette. Peut-être un modèle pour un éventail ? Pierrot n’est plus une figure isolée bien qu’il arbore la posture qui lui deviendra habituelle. Il est en compagnie de trois personnages de la comédie italienne : une élégante (Colombine ?) à ses côtés mais détournant son regard vers un galant qui se cache dans sa cape. Devant Pierrot, un vieillard (Pantalon ?) quelque peu ridicule qui, courbé, s’appuie sur sa canne. Ils se tiennent dans un paysage arboré lui-même encadré par deux figures à visage humain, privées de corps. Se faisant face. Deux visages qui exhibent des parures à la mode : tricorne et cravate de fine dentelle pour lui ; fontange démesurée et mantelet de dentelle pour elle.

Antoine Watteau, La Coquette, vers 1713, pierre noire, gouache et aquarelle, 21 x 42 cm © Londres, The British Museum, inv.1965-6-12-1 – Photo JMB
Une très rare gravure autographe, Les habits sont italiens (vers 1717 ou 1720), retouchée par Charles Louis Simonneau (1645-1728). Composition qui rassemble des comédiens italiens, toujours dans un paysage boisé. Mais dans un espace resserré. Sur la droite, un rideau de scène en parti tiré. Retenu par la main d’un homme qu’il est impossible de reconnaître. En arrière-plan sur la gauche, une sculpture à tête de faune (symbole de la comédie) que nous retrouverons dans la toile Pierrot. Tout comme l’attitude figée de ce dernier. Tous les personnages, à l’exception de Mezzetin, sur la gauche, grattant sa guitare, sont tournés vers les spectateurs. Pour les saluer ? Comme l’indique la position du personnage féminin tenant sa jupe de ses deux mains. Le poème sous l’image donne le titre à la gravure : il oppose les deux répertoires comiques, français et italiens. « Les habits sont Italiens, les airs françois, (…) Italiens et françois riant de l’humaine folie, ils se moquent tout à la fois de la France et de l’Italie ».

Antoine Watteau retouchée par Charles Louis Simmoneau, Les habits sont italiens, vers 1720, eau-forte et burin, 40 x 28 cm (feuille) © Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques, collection Edmond de Rothschild, 21701LR, Recto – Photo JMB
Watteau ne recourt jamais à la plume pour ses dessins. La sanguine est son médium favori, lui associant parfois la pierre noire et la craie blanche. Deux sanguines. Pierrot (vers 1717), étude conservé à Haarlem (Pays-Bas). Il présente l’intérieur de son chapeau tenu de sa main droite, la gauche étant plongée dans la poche de sa veste. Regard baissé. Posture toute de rigidité. Les Comédiens italiens saluant semble être « le dessin le plus élaboré, qui montre les comédiens sur la scène (… et) apparaît comme le plus proche de la conception (de l’huile sur toile) des Comédiens italiens » (catalogue). Attitude signature de Pierrot, cette fois penché en avant, tenant son chapeau à deux mains et le tendant au public (pour recevoir une aumône ?) Elle fait partie d’un groupe de quatre compositions ayant le même thème.

Antoine Watteau, Les Comédiens italiens saluant, vers 1719-1720, sanguine, pierre noire et rehauts blancs, 17 x 18 cm © Washington, National Gallery of Art, inv.2000.9.27 – Photo JMB
L’huile sur toile éponyme fut probablement peinte durant son séjour anglais. Nous retrouvons une quinzaine de personnages-types de la commedia dell’arte. Ils apparaissent dans un décor urbain d’inspiration classique. Une abside semi-circulaire dont l’ouverture est couronnée par un masque sculpté. C’est sous cet axe central que se tient Pierrot. A ses côtés, une jeune femme dont nous ignorons quel rôle elle joue dans la comédie. Sur la droite, Brighella (costume jaune brillant à brandebourgs noirs) le désigne d’un geste ample de sa main droite. Derrière lui, le vieux docteur Baloardo, toujours appuyé sur sa canne, se penche sans doute pour apercevoir Pierrot. A gauche, Mezzetin gratte sa guitare. Derrière lui, Arlequin dans une pose contorsionnée. Un couple d’amoureux dont les costumes ne permettent pas de les identifier. Sur le devant, trois personnages n’apparaissant pas dans la commedia dell’arte : deux enfants et le Fou, lui, aisément reconnaissable à son costume et ses attributs : le capuchon, la marotte (bâton faisant office de sceptre, surmonté par une tête grotesque coiffée d’un chapeau muni de grelots) et les grelots. Un ensemble de personnages au terme de leur spectacle. Ils semblent attendre nos applaudissements. Des fleurs répandues aux pieds de Pierrot et sur la marotte. Une atmosphère charmante se dégage. Les tonalités chromatiques ne sont pas étrangères à cette impression. Watteau utilise une palette de couleurs à la fois harmonieuse et délicate. Couleurs vives et claires (rose pâle, bleu clair, vert doux, jaune chatoyant) s’entremêlent.

Antoine Watteau, Les Comédiens italiens, 1720, huile sur toile, 64 x 76 cm © Washington, National Gallery of Art, inv.1946.7.9 – Photo JMB
Deux autres huiles sur toile. Pierrot content et La Partie quarrée, toutes deux peintes, semble-t-il, vers 1712-1713. Disposition quasi identique des personnages, au nombre de cinq sur la première toile et de quatre sur la seconde. Même paysage : celui d’un parc un peu à l’abandon. Pierrot content est une des premières scènes galantes que l’artiste place en plein air. Ici une certaine rigidité des figures : les personnages sont comme rangés face au spectateur ! « Assis sur un banc ou par terre (…) Pierrot, de face, jambes bien écartées, les mains posées symétriquement sur ses cuisses, est le pôle d’attraction de tous. Il est content car sa voisine de droite lui dédie un air, alors que son autre voisine s’écarte (…) les deux autres hommes n’attirent guère l’attention » (catalogue de l’exposition de 1984). Dans la mesure où ils sont, plus ou moins, plongés dans la pénombre. Scaramouche est l’un d’eux ; Arlequin probablement le second. L’un assis sur le banc, le second agenouillé aux pieds d’un personnage féminin (la compagne de Pierrot ?), son bras appuyé langoureusement sur les cuisses de cette dernière.
La Partie quarrée. Un titre postérieur de dix ans à la mort du peintre. Contexte toujours champêtre. Nous distinguons sur la droite une statue de jardin. Un amour chevauchant un dauphin. Une colonne, surmontée d’une vasque, contre laquelle s’appuient les personnages féminins. Les comédiens (Mezzetin et Pierrot, sans doute Colombine et Isabelle) se sont isolés pour un temps de réjouissance à quatre. « On appelle partie quarrée, celle qui est faite entre deux hommes & deux femmes seulement pour quelque promenade ou quelque repas » (Dictionnaire universel (1690) de Furetière (1619-1688), catalogue). Pierrot semble mis à l’écart, n’ayant pas de place pour s’asseoir sur le banc. L’une des deux jeunes femmes y ayant allongé ses jambes. Elle lui tend un masque. Il nous tourne le dos, guitare en bandoulière. Composition audacieuse s’il en est ! Personnages féminins élégants, habillés à la dernière mode. Scintillement des tissus de soie et de satin, rouge aux reflets roses, gris argentés, jaunes lumineux.

Antoine Watteau, La Partie quarrée, vers 1713, huile sur toile, 49,5 x 62,9 cm © San Fransisco, Museum Purchase, Mildred Anna Williams Collection, 1977.8 – Photo JMB
Une paire de petits tableaux : L’Amour au théâtre italien et L’Amour au théâtre français (sans doute des années 1716/1717). Ont-ils été conçus pour être des pendants ? Nous l’ignorons. En tout état de cause, Charles-Nicolas Cochin père (1688-1754) les grave ensemble en 1734 et leur donne leur nom. Présentation des « deux compagnies officielles de la vie théâtrale parisienne » (catalogue). Aucune identification convaincante n’a été proposée pour en reconnaître les sujets. Une intrigue suspendue dans le temps pour ce moment musical. Les deux scènes se rapprochent bien que l’échelle utilisée pour camper les figures soit différente et que ces dernières sont réparties différemment dans l’espace.
Quels sont les personnages sur la toile « française » ? La scène se divise en deux. A gauche un groupe de musiciens (violon, hautbois, musette). Au centre, le buste sculpté de Momus (dieu grec de la dérision voire de la folie). Allongé en-dessous, un homme, la tête couronnée de feuilles de vignes. Probablement Bacchus. Il tend son verre pour trinquer avec un personnage vêtu de rose, portant un chapeau à plumes et un carquois de flèches, Cupidon. Alentours, divers personnages représentatifs du théâtre dont Pierrot, Colombine et Crispin. Au centre, deux danseurs esquissent un pas de danse. La jeune femme relève un pan de sa jupe noire. L’homme, de dos, porte un habit rouge, le pourpoint serré au niveau de la taille. Il est coiffé d’un chapeau de paille. Un seul personnage regarde le spectateur, sur la droite. Au vu de son costume, il s’agit de Crispin. Il est de coutume d’y voir un ami du peintre, Paul Poisson (1658-1735).
La toile « italienne » est l’unique tableau nocturne du peintre. Un cadrage resserré, nous l’avons dit. Watteau « joue habilement du contraste entre la lumière froide de la lune et la lumière chaude de la torche et de la lueur de la lanterne. Ces effets confèrent aux personnages un aspect presque irréel » (Olivier Paze-Mazzi, L’Objet d’art HS n°94, décembre 2015). Sommes-nous en présence du finale d’une représentation théâtrale ? Pierrot en est la figure centrale. Il joue de la guitare. Une sérénade pour l’élégante placée à sa droite ? Probablement Colombine, voire Isabelle. De sa main gauche, elle tient un masque, la droite retenant un pan de son manteau jaune. Notons le rendu des cols à la fraise des actrices. Parmi les autres personnages nous reconnaissons le Docteur, avec son air faussement savant. Mezzetin éclairant la scène avec sa torche. À l’arrière-plan, Arlequin, la main sur la tête, se contorsionne afin d’éviter la flamme. Un acteur âgé s’appuyant sur sa canne que nous avons rencontré sur le projet d’éventail intitulé La Coquette. Le porteur de la lanterne est probablement Brighella en raison des rayures horizontales de son costume.

Antoine Watteau, L’Amour au théâtre italien, vers 1716-1717, huile sur toile, 37 x 48 cm © Berlin, Gemäldegalerie, inv. 470 – Photo JMB
Nous voilà à la mi-temps de notre parcours ! Face à nous, Pierrot est de retour dans toute sa splendeur. Sans sa guitare, dans sa pose iconique, bras ballants. Face à nous ? Pas tout de suite car nous nous engageons, comme d’autres visiteurs à… l’arrière du tableau ! Pour découvrir sa restauration.
Watteau et la découverte du Pierrot
Nous ne reviendrons pas sur l’historique de l’œuvre, évoquée plus haut. Son histoire nous indique quelques interventions à minima dès 1896. Puis, en 1952, il est décidé un « allègement du vernis ». Imagerie scientifique en 2009. Restauration de septembre 2022 à septembre 2024 dans les ateliers de restauration de peinture du site de Flore. Une campagne qui a permis au tableau de retrouver toute sa fraîcheur et la délicatesse de ses coloris. Une campagne dont nous découvrons les tenants et aboutissants dans une vidéo explicative. Nous apprendrons, pêle-mêle, que la peinture a subi un rentoilage à la fin du XVIIIème siècle. Que, lors de celui-ci, la toile a été coupée, « le format de l’œuvre a été diminué laissant sur les quatre bords repliés de la toile des restes de peinture originale » (communiqué de presse). Ainsi le personnage de Pierrot devait être strictement au centre d’une composition dans un décor plus vaste.

imagerie scientifique © Exposition Revoir Watteau – Le louvre – PARIS – Photo JMB
Pour de plus amples informations, consulter le chapitre « Etat des connaissances sur la matérialité de Pierrot d’Antoine Watteau », Clarisse Delmas et Bénédicte Trémolières (pages 189-198 du catalogue) ou le site C2RMF, rubrique « Filière peinture ».
Sur les côtés du tableau et à ses pieds, diverses explications permettant de mieux l’appréhender, notamment pour ce qui a trait aux personnages. Qui sont-ils ? D’abord, bien évidemment, Pierrot. Il est seul, immobile, séparé de quatre autres personnages représentés en bustes dans le bas de la composition. Sans oublier un âne. Et, sur la droite, dans les feuillages, un terme aux yeux mi-clos (sorte de statue, d’ornement architectural n’ayant que la tête de figure humaine, le plus souvent masculine ; elle est posée sur un piédestal appelé gaine) que nous avons déjà croisé. Ces personnages échangent des regards complices, riant probablement aux dépens de Pierrot. Sur la gauche, chevauchant l’âne, Crispin ricane en nous regardant. Il est admis qu’il s’agisse probablement d’un autoportrait. Œil rond et triste de l’âne décoré de rubans dans les mêmes tons que les nœuds de chaussures de Pierrot. Sur la droite, un personnage portant une curieuse coiffe à crêtes. Sans doute Momus, le dieu de la moquerie que nous avons également rencontré. Deux autres personnages seraient les amoureux de la commedia dell’arte. Peut-être Isabelle et le Capitaine ?

tableau explicatif des personnages © Exposition Revoir Watteau – Le Louvre – PARIS – Photo JMB
« Les quatre acteurs se détachent devant un bois, un pin-parasol (…) Pierrot bien de face, debout sur un monticule, les bras ballants, se détache sur un ciel bleu. L’ovale de la tête est accentué par la calotte, le large chapeau rond jaune paille, la collerette multipliant les ronds autour de son visage lunaire. Son pantalon, trop court, laisse voir ses élégants chaussons ornés de rosettes de rubans roses » (catalogue exposition de 1984). La restauration du tableau a permis à celui-ci de retrouver sa luminosité… un ciel bleu enrichi de teintes grises et roses… de différencier les tons de blanc du vêtement de Pierrot. Aspect mat du coton de la veste trop grande (plis des coudes). Brillance du satin pour le pantalon.

Antoine Watteau, Pierrot dit autrefois Le Gilles vers 1719, huile sur toile, 184 x 155 cm © Paris, musée du Louvre, département des Peintures, MI 1121– Photo JMB
La postérité des Pierrots au XVIIIème siècle
Sur la scène parisienne, la vogue du Pierrot décroît à partir des années 1720. Dans les parades, devant les scènes de théâtre, il est remplacé par « Gilles ». Son équivalent, plus grossier. Comme lui vêtu de blanc. Petit à petit, effacement de Pierrot et succès de Gilles ! Paradoxalement, autant « notre » tableau semble inconnu durant le XVIIIème siècle, autant des peintres vont s’inspirer du personnage en conservant les codes de son apparence.
Un tableau dû aux pinceaux de plusieurs artistes, Les Comédiens italiens (vers et après 1720). Attribué à Antoine Watteau, Jean-Baptiste Pater (1695-1736) et un collaborateur anonyme. Œuvre inachevée du maître… reprise par d’autres mains après la mort de ce dernier. Cinq personnages peints, en pieds. Dans un paysage boisé indéfini au ciel bleu ennuagé. Pierrot dans l’attitude de la sanguine, vue plus haut, tête découverte, chapeau à la main. Scaramouche, Mezzetin et dans le fond, en partie caché, Arlequin la main sur son chapeau. A la gauche de Pierrot, un personnage qui se détache quelque peu du groupe, sans doute Brighella. Tous nous regardent. Nous saluant à la fin de leur représentation ? De Nicolas Lancret (1690-1743), une huile sur bois, Les acteurs de la Comédie-Italienne ou Le Théâtre italien (vers 1725). A nouveau, une petite compagnie de comédiens. Position iconique de Pierrot, guitare en bandoulière dans son dos. Légèrement en retrait, Arlequin et Arlequine esquissent un pas de danse. Costumes aux couleurs chatoyantes.
Une peinture singulière dans le corpus de Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), L’Enfant en Pierrot (années 1780). A la fin du siècle, « Pierrot est souvent associé aux spectacles de marionnettes destinés aux enfants » (cartel). Visage espiègle de l’enfant. Yeux rieurs. Joues rouges. Auréole du chapeau mou gansé de bleu. Col chiffonné. Bras croisés dans des manches trop longues sous lesquelles disparaissent les mains.

Jean Honoré Fragonard, L’Enfant en Pierrot, vers 1781-1785, huile sur toile, 60 x 50 cm © Londres, The Wallace Collection, P412– Photo JMB
La découverte du « Gilles »
Nous l’avons dit, la première mention du tableau de Watteau remonte à 1826. Il appartient alors à la collection privée du baron Denon. Puis, « Je laisse au musée de Paris toute ma collection de tableaux. J’ai l’espoir qu’on voudra bien leur consacrer une salle » selon ce que dit Louis La Caze dans son testament (juillet 1865) à propos de son immense collection (catalogue). Le Gilles peut enfin entrer au « Panthéon de la peinture » ! 1870. Inauguration de cette vaste salle. Un article est publié à cette occasion dans une revue satirique, La vie parisienne. Parmi les vignettes burlesques, une caricature du Gilles. Silhouette raide au vêtement gonflé ressemblant peu ou prou à une crinoline ! Avec une légende que nous qualifierions aujourd’hui de misogyne : « Gilles, par Watteau – Un rôle qui eût été mieux tenu par une femme ». La notoriété de Watteau est établie !
L’évolution du personnage de Pierrot au XIXème siècle
L’acteur (mime et acrobate) Jean-Gaspard Dubureau (1796-1846) transforme le personnage. Et remporte de notables succès avec des pantomimes (spectacle où le comédien s’exprime uniquement par des gestes, des mimiques et des attitudes). Spectacles muets plus volontiers destinés à un public populaire. Spectacles relayés par la presse. Dubureau modifie la silhouette et le costume du Pierrot ainsi que nous le voyons sur une estampe d’Alexandre Manceau (1817-1865). Une physionomie renouvelée. « La veste de laine, courte, à gros boutons, aux manches étroites dépassant des mains, devint bientôt une blouse ample en calicot, aux larges et longues manches (…) il supprima la collerette qui portait ombre sur sa figure (…) et nuisait au jeu de sa physionomie, et, au-lieu du serre-tête blanc et du chapeau pointu de son prédécesseur, il fit ressortir la blancheur de son visage en l’encadrant d’un bonnet de velours noir » écrit Maurice Sand (1823-1889) dans Masques et bouffons (1860). La silhouette s’est affinée et se perd, désormais, dans un costume trop grand !
Charles Dubureau (1829-1873), fils du précédent, reprend l’emploi sur la scène du Théâtre des Funambules. A l’automne 1854-hiver 1855, il pose pour les frères Félix (1820-1910) et Adrien Tournachon (1825-1903) dit Nadar et Nadar jeune. Ces derniers souhaitant faire la publicité de leur atelier photographique. En témoigne l’affiche de 1856 où figure la médaille d’or obtenue lors de l’Exposition universelle qui venait d’avoir lieu à Paris. Elle est issue d’une série intitulée Pierrot photographe. Pierrot devient un support de publicité quasi incontournable. Une photo : Pierrot surpris. Si nous retrouvons la posture emblématique du Pierrot de Watteau, le comédien adopte le costume plus « moderne » mais surtout une expression inhabituelle : la surprise ! Visage anguleux et joues creuses. Yeux écarquillés. Le tout sous une « lumière savamment orientée par l’opérateur » (catalogue).

Alcide-Joseph Lorentz, Tournachon, Nadar j(eu)ne et Cie, artistes photographes, … (1856), lithographie (affiche), 102 x 79 cm © Paris, BnF, département Estampes et photographie, ENT DO-1-F16 (LORENZ Alcide-Joseph) – Photo JMB
Dans le domaine photographique, celle issue des ateliers Nadar ayant pour modèle la grande tragédienne, Sarah Bernhardt (1849-1923). En 1883, dans Pierrot assassin, pantomime du poète et dramaturge Jean Richepin (1849-1926). Pantomime où elle incarne un frêle personnage masculin assassin d’une femme dont il est amoureux. Colombine est jouée par la comédienne Réjane (1856-1920). Est exposée à ses côtés, une photo (1946) issue d’une série de clichés prise par le photographe Cecil Beaton (1901-1980). Greta Garbo (1905-1990) dans le costume de Pierrot. Elle se tient derrière le dossier d’un fauteuil. Dossier sur lequel elle appuie ses mains jointes en parties cachées par sa collerette. Elle fixe l’objectif avec une certaine intensité.
Une huile sur toile de Thomas Couture (1815-1879), Souper à la Maison d’or (vers 1855). Il s’agit d’un modèle pour papier peint présenté lors de l’Exposition universelle. La Maison d’or étant un célèbre restaurant parisien considéré comme une « référence incontournable en matière de lupanar bourgeois » (catalogue). La scène : un salon où une jeunesse dissolue achève sa nuit. Jeunesse « vêtue pour un bal costumé des défroques de la pantomime, et où seul veillait le personnage habillé en Pierrot, juché sur la table en désordre » (catalogue).
Le cinéma n’est pas en reste. L’œuvre de Watteau y pénétrant à son tour. Deux courts extraits de films de Georges Méliès (1861-1938) : Au clair de la lune ou Pierrot malheureux (1903) et La Folie de Pierrot (1906). Transition avec la dernière étape de notre parcours.
La modernité de Pierrot
Nous avons évoqué au début de notre chronique, le film Les enfants du Paradis. Ici, un extrait d’un sketch pour la télévision (1957). Le Mime Marcel Marceau (1923-2007) dans le rôle du Gilles de Watteau. Celui-ci se détache progressivement du tableau exposé au Louvre ! Nota. Marcel Marceau expliquait, en 1964, que le tableau de Watteau faisait partie de ses sources d’inspiration pour son personnage fétiche de Bip.
Puis nous croisons divers artistes. Pablo Picasso (1881-1973). « (Il représente très fréquemment) le personnage de Pierrot dont il fait un symbole de la condition, souvent précaire, des artistes » (catalogue). En 1925, il peint son fils, âgé de 4 ans : Paul en Pierrot. Attitude statique, jambes écartées, pieds bien fichés sur le sol. Mains sur la taille. Regard déterminé, droit devant lui. Il tient un masque noir (un loup) dans sa main droite. Palette chromatique restreinte : blanc du costume. Rouge du sol et noir du mur de fond. Touches bleutées de ce qui peut être un espace ouvert derrière une balustrade.

Pablo Picasso, Paul en Pierrot, 28 février 1925, huile sur toile, 130 x 97 cm © Paris, Musée national Picasso-Paris, donation Pablo Picasso, 1979, MP84 – Photo JMB
Arlequin et Pierrot (vers 1924) d’André Derain ((1880-1954). Une toile peinte pour le marchand d’art Paul Guillaume (1891-1934). Pierrot étant un probable portrait du marchand. Une toile carrée monumentale (175 x 175 cm). Décor désertique. Un violon et une cruche posés (tons ocre) sur un linge blanc au premier plan. Deux personnages aux costumes typés. Vêtement rapiécé de multiples losanges de couleur pour Arlequin qui joue de la mandoline. Large vêtement blanc à gros boutons noirs sur le pantalon pour Pierrot qui joue de la guitare. Gestes outrés. Attitudes bancales de pantins désarticulés ! Comment Pierrot peut-il jouer de sa guitare en n’étant positionné que sur une jambe ?
Georges Rouault (1871-1958) utilise une technique particulière, une huile, encre et gouache sur papier marouflé pour la toile intitulée Pierrot (entre 1940 et 1948). Là aussi le peintre considère ce dernier comme le symbole de l’artiste : un homme souvent misérable mais possédant des habits lumineux. Le comédien est peint à mi-corps dans une pose statique qui évoque celle du tableau de Watteau. Représentation sacralisée, telle une image pieuse, avec un cadre factice qui peut faire penser à un vitrail. « (Une) dimension mystique chrétienne qui lui est propre » (catalogue). Un Pierrot fatigué peint dans des touches de vert et de bleu. Un Pierrot à l’égal d’un Christ souffrant.

Georges Rouault, Pierrot, vers 1940-1948, huile, encre et gouache sur papier marouflé sur toile, 105 x 75 cm © Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle, AM 4231 P (848) – Photo JMB
Du peintre espagnol, Juan Gris (1887-1927), Pierrot à la grappe (1919). A mi-corps. Pose caractéristique, les bras le long du corps. Aucun attribut habituel. Rythme géométrique en blanc, gris et noir du costume. Lignes ocre ondulées, en haut à gauche, évoquant un rideau de scène. Autre lecture tout à fait personnelle du personnage et du tableau. Celle de Jean-Michel Alberola (né en 1953) dont trois œuvres sont accrochées pour clore la visite. Un pastel et sanguine de 1992, Le projectionniste. Un fusain, gouache et pastel, Le Clown. Et de 1994, un fusain et pastel sur papier, Nom de l’âne, Casablanca. Trois œuvres qui présentent « une sorte de déconstruction de la composition de Watteau, dont plusieurs éléments sont isolés : le corps de Pierrot jusqu’à l’amorce de son visage ou bien la tête de l’âne sous un angle différent » (catalogue).

Jean Michel Alberola, Le Clown, 1992, fusain, gouache et pastel, 80 x 70 cm © Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle, AM 2008-156 – Photo JMB
« Pierrot, dit le Gilles, un comédien sans réplique, une peinture sans pareille ». Guillaume Faroult conclut ainsi l’introduction du catalogue de l’exposition. Son auteur d’ajouter que l’exposition et le catalogue « sont le fruit d’un souhait caressé et mûri pendant de nombreuses années ». Cet ouvrage est bien plus qu’un catalogue ! Il est le reflet d’une passion. Références explicatives des œuvres présentées. Somme des notes y afférent. Richesse de la bibliographie. La scénographie concourt à notre découverte du projet, par sa clarté et la possibilité offerte de regarder au plus près les œuvres.
Le catalogue de l’exposition de 1984 pose « Quatorze question autour d’un nom ». Quatorze questions issues de chacune des lettres de ce nom. Et de parler de « la magistrale facilité de l’artiste, sa virtuosité, la beauté et la liberté de sa touche, ses trouvailles de coloriste, … ». Cette toile monumentale, de format exceptionnel, montre un personnage en grandeur naturelle. « (Il) apparaît à la fois émouvant dans son isolement, fascinant dans sa frontalité statique et touchant dans sa tentative d’établir avec le spectateur un dialogue dont la teneur et l’urgence nous échappe encore » (Guillaume Glorieux, L’art du XVIIIème siècle, Presse universitaire de Rennes, 2021).
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Exploration dans les moindres détails avons-nous dit à propos de l’exposition-dossier Revoir van Eyck. Exposition monographique consacrée au tableau de Watteau après une restauration qui lui a rendu tour son éclat. Une troisième exposition-dossier se tient au Louvre, Revoir Cimabue, peintre rénovateur de la peinture italienne du XIIIème siècle. Une occasion d’apprivoiser un artiste toscan peu connu et deux de ses chefs d’œuvre restaurés (Aile Denon, 1er étage, salle Rosa, du 22 janvier au 12 mai 2025).

