Christina Pluhar et Malena Ernman à Bayreuth
Intitulé Terra Mater – Natur in der Musik, le concert du dimanche 7 septembre, donné à l’occasion du Bayreuth Baroque Opera Festival se présentait comme « un rappel au spectateur que nous devons faire tout ce que nous pouvons pour conserver la nature dans toute sa beauté ». A l’appui, le programme retrace les recherches scientifiques relatives au changement climatique avec des chiffres et faits alarmants. Pour sa part, la mezzo-soprano Malena Ernman – mère de la célèbre militante écologiste Greta Thunberg – précise être venue depuis la Suède en train plutôt qu’en avion et désigne, lors des bis, l’homme comme « cet animal qui a détruit notre planète ». L’objet du programme aurait pu appeler un propos introductif plus argumenté, voire plus « politique »…
Pour illustrer cet engagement, les musiciens ont choisi des arie de Georg Friedrich Haendel, de Claudio Monteverdi ou encore de Heinrich Ignaz Franz Biber évoquant divers animaux : rossignols, coucous, poules, souris, grenouilles et cygnes. Mme Ernman jouit d’une belle présence sur scène : elle mime une confrontation avec le cornettiste (La Gallina, Merula), elle croasse de manière convaincante en imitant physiquement le crapaud sur fond de cordes dissonantes (Der Frosch, Biber), elle frappe de ses talons le rythme, elle danse, elle joue les pleurs (The Taylor and the Mouse) ; elle fait figure de femme forte et sa voix, pareille à son image, est forte. Mais le timbre comporte comme une aspérité qui rend ses airs traînants, presque mélancoliques. Ses envolées d’oiseau dans les aigus retombent difficilement sur leurs ailes (Sono rossignol, Pietro Torri) ; ses notes, trop détachées les unes des autres, donnent à sa diction un caractère abrupt (dans le Senti quell’usignolo, de Francesco Gasparini) ; cette propension à égoutter les syllabes une à une lui a été préjudiciable à plusieurs reprises (en particulier sur l’air Crude furie degli orridi abissi, Haendel). À l’écoute de reprises assez modernes (T’was When the Seas Were Roaring, Haendel), sur un fond de percussions brossées, on s’interroge : Mme Ernman serait-elle plus à son aise dans un répertoire plus tardif ? Confirmant l’éclectisme de son répertoire (qui s’étend de Cavalli à la musique contemporaine et englobe aussi la variété), elle choisit en tous cas d’interpréter, en bis, une reprise, tourbillonnante et plutôt désagréable, du Vol du bourdon de Rimski-Korsakov, ou encore une chanson de Sting intitulée Fragile sur des rythmes lancinant de bossa nova.
Il était cependant possible de retrouver de l’esprit baroque grâce au merveilleux ensemble L’Arpeggiata qui a offert de beaux moments. La théorbiste Christina Pluhar a mené la direction musicale avec un sérieux et une inflexibilité qui la feraient bien passer pour la première de la classe en cours de cordes pincées baroques. Le guitariste (Josep Maria Marti Duran) était excellent, notamment en menant la danse traditionnelle anglaise Wallom Green ou encore l’air de The Taylor and the Mouse. Malgré la qualité certaine des artistes, le concert pâtissait toutefois à notre sens de la volonté de moderniser des pièces baroques, dans un esprit de dialogue – qui existait il est vrai dans les ensembles musicaux du XVIIe. Ainsi, la Ciaccona de Maurizio Cazzati est devenue un morceau très jazz, avec une basse continue, sur laquelle chaque instrument assurait ses variations sur un thème commun – pratique baroque en soi – mais, le claveciniste, par ses chromatismes et ses boucles de notes, la violoncelliste par certaines dissonances et le cornettiste, sur fond de percussions et cordes pincées, se sont ainsi largement éloignés de la chaconne baroque…
Des réserves apparemment qui ne semblaient toutefois pas partagées par le public de Bayreuth. Celui-ci a aimé le concert : il a ri, a applaudi, a dit bravi. Repartant dans sa grosse berline, le spectateur a bonne conscience : il a apprécié la réflexion sur le changement climatique et la musique baroque.
[Concert à écouter et regarder sur le site d’ARTE en suivant ce lien]

