Le magasin musical vous ouvre ses portes
L’intitulé quelque peu surprenant de ce concert reprend l’intitulé de l’enseigne du premier magasin spécialisé dans la vente d’ouvrages musicaux gravés, qui a été fondé vers 1690 à Paris, dans le faubourg Saint-Honoré. Le programme a pour objet de rendre compte de l’évolution des goûts musicaux tout au long du XVIIIème siècle et de la diversité du répertoire français, mais aussi italien et allemand, en vogue à cette époque : musique instrumentale, brunettes, airs sérieux et à boire, opéras, cantates et cantatilles… Il a été imaginé par l’Ensemble Saint-Honoré, fondé en 2020 par des jeunes musiciens issus de la Schola Cantorum de Bâle ou des conservatoires nationaux supérieurs. Avant le début du concert, Yannick Lemaire, directeur artistique d’Embaroquement immédiat, rappelle que cette dernière journée du festival est consacrée aux œuvres inédites. Le concert se tient dans le cadre prestigieux de la chapelle de l’ancien Hôpital Général de Valenciennes, construit sous Louis XV et superbement restauré il y a une dizaine d’années : il abrite désormais un hôtel de luxe ainsi que des appartements, tout en ayant bien entendu conservé ses façades historiques, orgueil de la ville.
Les deux mouvements de la Sonate n° 1 d’Antoine Dauvergne ouvrent le concert avec élégance et précision. Le clavecin de Valentin Rouget se signale par des attaques marquées qui rythment l’Andante, tandis que les violons de Marguerite Dehors et Armand Thomas emmènent l’Allegro avec légèreté et délicatesse. Les autres pièces instrumentales intercalées entre les airs confirment les qualités de ces jeunes interprètes. Pour les violons, retenons tout particulièrement leur agilité dans le virtuose Presto du Duo n° 6 de Gossec, exécuté depuis une nef latérale de la chapelle, dans un effet réussi de spatialisation. Ainsi que leur vivacité dans les attaques de l’Allegro très animé du Concerto Terzo de Porpora. Pour le clavecin, retenons son intense complicité avec la viole de Sacha Levy, notamment dans les deux Préludes de Couperin et surtout dans La Leclair de Forqueray, dont l’accord final est impeccablement réglé d’un simple échange de regards entre le claveciniste et la gambiste. Soulignons aussi l’éloquence de la viole, qui nous a frappée dans la Suite n° 6 en sol majeur de Marin Marais.
Les airs sont mimés, ce qui égaie habilement le concert. Ainsi dans le duo Riez sans cesse pendant la jeunesse, les deux chanteurs jouent aux cartes autour d’une table pendant les parties instrumentales. Ils sont eux aussi mis en espace dans différentes parties de la chapelle. La trouvaille la plus spectaculaire consistait pour les deux chanteurs à occuper la chaire pour le duo bacchique Sçais tu qu’au cabaret, d’autant que c’est incontestablement le lieu qui offrait la meilleure réverbération à leur voix. Les deux dernières pièces du concert, les extraits du Tonnelier et du Piquet, sont également mimées intégralement, pour la plus grande joie du public. Au plan vocal, Jeanne-Marie Lelièvre affiche un timbre clair développant une diction claire dans un phrasé fluide ; ses aigus sont aisés et son expressivité vocale est relayée par son indéniable sens théâtral.
Nous avons été un peu surpris de découvrir Arnaud Gluck dans le répertoire français, d’où la voix de contre-ténor est en principe absente. Force est de reconnaître qu’il passe l’obstacle haut la main, grâce évidemment à son aisance dans les aigus, mais aussi à sa diction et à son phrasé, qui sont des qualités essentielles dans ce répertoire. Notons aussi l’emploi de son timbre naturel dans les extraits du Tonnelier, tout aussi convaincant. Ajoutons y enfin un sens théâtral aigu, que nous avions déjà eu l’occasion d’apprécier dans un précédent concert lyrique (voir notre chronique).
Cet après-midi là, l’Ensemble Saint-Honoré a offert au public du festival une bien aimable façon de découvrir des inédits.

