La Gran Partita – Mozart électro


Un projet audacieux

Le 7 juin 2025 se déroulait, dans le cadre exceptionnel de l’abbaye royale de Fontevraud en Val de Loire, un concert intitulé La Gran Partita – Mozart électro. Fondée en 1101 par Robert d’Arbrissel, cet ensemble monastique situé en val de Loire non loin de Saumur, Chinon et le château de Montsoreau est le plus vaste d’Europe. Remarquablement bien conservé, il abrite notamment les gisants royaux de Richard Cœur de Lion et d’Aliénor d’Aquitaine ainsi qu’un remarquable musée d’art contemporain. Sa transformation en prison par l’empereur Napoléon Ier l’a de toute évidence préservé d’un démantèlement après la Révolution, et suite à la désaffection de l’abbaye en tant que prison, des restaurations ont pu être engagées entre 1963 et 1985 afin de rendre à ce monument unique son aspect originel. L’abbaye de Fontevraud fait désormais partie des monuments classés au Patrimoine mondial de l’UNESCO.

Eclipse symphonique, tel est le nom du projet pour le moins audacieux, à la fois musical et visuel, proposé par l’Ensemble Stradivaria, associé au compositeur Ena Eno et à l’artiste numérique Jérémie Bellot. Dirigé depuis 2023 par le hautboïste Guillaume Cuiller, Stradivaria est un ensemble musical français basé à Nantes et fondé en 1987 par le violoniste Daniel Cuiller (qui fut premier violon des Arts Florissants de 1982 à 1986). La musique baroque constitue son principal axe de travail, mais il aborde également le répertoire de la musique pour instruments à vent de la fin du XVIIIe siècle.

Guillaume Cuiller © Eric Lambert

Artiste multidisciplinaire se consacrant notamment à la musique électro faisant appel à des échantillonnage réutilisé et mixé de façon à créer une œuvre musicale distincte, Ena Eno compte parmi les pionniers de cette forme de création sonore. Il se plaît à explorer les possibilités infinies offertes par le musique électro et sa renommée lui a valu de collaborer avec bon nombre d’ artistes et de collectifs de renom parmi lesquels l’IRCAM et plusieurs ensembles de musique contemporaine internationaux.

Architecte de formation, Jérémie Bellot s’impose quant à lui comme une figure majeure de l’art numérique. Passé maître dans l’utilisation des technologies modernes, il s’est spécialisé dans la conception et la réalisation d’installations visuelles invitant à poser un autre regard sur les monuments historiques qui l’ont inspiré dans son travail de création. Ses réalisations sont nombreuses, la dernière en date et sans doute la plus marquante étant la mise en lumière de la cathédrale Notre Dame de Paris lors de la cérémonie d’inauguration, en 2025.

Le projet proposé ce samedi 7 juin 2025 avait pour thème directeur la Sérénade K 361 de Wolfgang Amadeus Mozart dite Gran Partita, écrite pour treize instruments à vent et une contrebasse. A mi-chemin entre musique de divertissement et musique symphonique, elle se compose de sept mouvements mettant chacun et tour à tour en avant l’un des instruments de l’ensemble. Destinée à l’origine à être jouée en plein air, cette Sérénade est à juste titre considérée comme l’une des œuvres maîtresse de Mozart, et l’un des chefs d’œuvre du répertoire pour instruments à vent. Son histoire est sujette à débats encore de nos jours. Le manuscrit autographe porte la date de 1780, mais son inscription n’est pas de la main de Mozart, et son titre de Gran Partita ne lui a pas été donné par le compositeur. Quant à sa destination, elle demeure encore incertaine. Cadeau pour son épouse Constance avec laquelle il se marie en août 1782 ? Concerts en plein air destiné à divertir le Grand Électeur de Bavière et sa cour à Munich? Ou bien peut être musique d’inspiration maçonnique, du fait des liens étroits entre Mozart et la franc-maçonnerie… La question reste posée mais demeure accessoire eu égard à la qualité de cette composition, selon toute vraisemblance contemporaine de L’Enlèvement au sérail (datant de 1781) comme l’a suggéré Ludwig von Köchel qui a réalisé l’inventaire des œuvres de Mozart.

© Eric Lambert

La représentation se déroulait devant le chevet de l’église abbatiale, lequel a servi de support aux projections et aux jeux de lumière conçus par Jérémie Bellot. Le projet initial consistait à interpréter de manière académique la Gran Partita dans un premier temps, pour laisser place ensuite aux sonorités électro d’Ena Eno faisant usage des échantillonnages captés durant le concert. Mais les mauvaises conditions climatiques de cette soirée du 7 juin en ont décidé autrement… Pluie et vent au menu… Ce sont donc les sonorités électro d’Eno Ena qui se sont déployées en introduction, utilisant des échantillonnages captés durant la générale de la veille, en attendant le moment propice permettant aux musiciens de jouer la Gran Partita au sec. Il est utile en effet de rappeler que les instruments de musique en bois ne font pas bon ménage avec la pluie ! Mais l’accalmie tant espérée a fini par se présenter et l’Ensemble Stradivaria a enfin pu interpréter l’œuvre de Mozart dans des conditions acceptables, sans sonorisation toutefois compte tenu des risques électriques liés à l’humidité. Mais malgré ces inconvénients inhérents à tout concert de plein air, la Gran Partita a été magnifiquement servie par l’ensemble de vents (et la contrebasse) dirigé par Guillaume Cuiller qui a fait montre d’un grand professionnalisme. Le mélange des timbres et les combinaisons instrumentales dans cette œuvre sont particulièrement intéressants et témoignent du génie d’un compositeur âgé de vingt cinq ans et déjà au faîte de sa maturité.

Durant son écoute, on retrouve aisément les éléments stylistiques qui ne sont pas sans évoquer le Concerto pour clarinette ou l’ouverture de La Flûte Enchantée, et qui font que la musique de Mozart est d’emblée reconnaissable entre toutes. Parmi les instruments à vent de l’ensemble, on a pu observer la présence du cor de basset, un instrument rare que l’on retrouve dans le Requiem et les Nocturnes (hélas trop peu enregistrés !!!). Inventé en Allemagne aux alentours de l’année 1770, cet instrument à vent à anche simple dont le nom signifie petite basse est en quelque sorte un cousin de la clarinette évoluant dans un registre un peu plus grave. Et il semble à peu près certain que ce soit dans cette sérénade Gran Partita que Mozart a utilisé pour la première fois le cor de basset.

Enfin, il convient de souligner la qualité du volet visuel de la soirée avec des projections mettant en valeur l’architecture multicentenaire de l’église abbatiale.

© Eric Lambert

Pour conclure, on ne peut que saluer une démarche à la fois originale et intéressante qui participe assurément à désacraliser la musique dite savante. Ce projet donne ainsi à un autre public l’occasion d’explorer des univers musicaux qui ne sont pas forcément les siens. L’alliance inédite entre musique classique et musiques actuelles, qui unit rigueur musicale inhérente à la musique classique et créativité moderne, renferme aussi indubitablement un aspect pédagogique.

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