Dans un français chantant et très fluide, le très sympathique Nicolò Balducci (voir nos chroniques Amore Dolore, Il Serse et Sosarme) nous a fait le plaisir de quelques confidences au cours d’un récent et intéressant entretien, émaillé de rires et de sourires, que nous publions ci-dessous.
BaroquiadeS : Bonjour Nicoló. Pouvez-vous nous parler un peu de votre parcours et du chemin que vous avez suivi vers la musique baroque et la voix de contre-ténor ?
Nicolò Balducci : J’ai commencé par la danse et vers mes dix ans, je ne sais vraiment pas pourquoi, j’ai décidé qu’il fallait que j’essaie de chanter. J’ai alors rejoint un chœur d’adultes (il n’y avait pas de chœur d’enfants dans ma ville) et la première œuvre dans laquelle j’ai chanté en public, c’était le Requiem de Cherubini… A peu près à cette époque, il y avait aussi la réouverture du Teatro Petruzelli de Bari, avec Carmen. On m’a proposé de chanter dans les chœurs d’enfants pour cette production et mes parents m’ont conduit tous les jours à Bari pour les répétitions. Ils ont eu beaucoup de courage de faire ça car c’était difficile à conjuguer avec leur travail.
Cette Carmen a été ma première expérience de la scène. Je me souviens que j’avais l’impression que la lumière était tellement forte que j’avais la sensation de chanter dans le noir car je ne voyais pas la salle ni les spectateurs. J’ai adoré être sur scène et y chanter et je me suis vraiment dit « c’est ça que je veux faire de ma vie ».
Vers 13-14 ans, j’ai arrêté le chant classique, je me suis tourné vers la pop, je chantais dans un groupe. Mes références, c’était Freddie Mercury, Mika, etc. Je chantais beaucoup en falsetto car la mue n’avait pas beaucoup affecté ma voix chantée. J’ai fait beaucoup d’auditions à cette époque aussi, notamment pour l’émission The Voice. Et puis vers 15 ans, je suis entré au lycée, dans une filière musique ; j’avais pris une option chant et piano. Je dois beaucoup à ma professeure au lycée, Ana Maria Stella Pansini, : un jour, elle est venue écouter mon groupe dans un concert pop et, après ça, elle m’a aidé à travailler ma voix. Et je trouvais agréable et confortable de chanter plus aigu. En fait, c’est avec elle, vers 15 ou 16 ans qu’a commencé mon parcours de contre-ténor.
Mais en vérité, je voulais faire de la pop. Je faisais en parallèle des auditions pour X Factor et d’autres émissions et pour entrer au conservatoire. J’ai été pris au conservatoire à Matera mais en même temps, ça n’a pas été possible pour X Factor. A l’époque, ça m’a beaucoup déçu… Au conservatoire, on me faisait travailler en voix de ténor ; ça ne me plaisait pas trop et j’étais plus à l’aise en contre-ténor. Alors j’ai rappelé ma professeure et j’ai pris des leçons avec elle. En 2019, quand Matera a été capitale européenne de la culture, il y a eu beaucoup de master classes de musique baroque et j’ai rencontré Gemma Bertagnoli qui est une autre personne très importante dans mon parcours. Elle m’a proposé de la rejoindre à Vicenza, après le bachelor à Matera, pour préparer le master de chant baroque. Là ce furent les premiers concours et les premières productions. Et ensuite, le début de la carrière de contre-ténor.
BaroquiadeS : Est-ce que vous avez des modèles ?
Nicolò Balducci : Des modèles ? Non pas vraiment… Mais il y a beaucoup de chanteurs que j’admire. Par exemple Philippe Jaroussky ou James Bowman qui ont ouvert la voie aux contre-ténors mais aussi Cecilia Bartoli ou Sandrine Piau. Ça fait beaucoup de Français, non ? (rire)
BaroquiadeS : Comment qualifieriez-vous votre voix ?
Nicolò Balducci : J’ai une voix plutôt longue, et une tessiture que je dirais de « soprano secondo ».
BaroquiadeS : Elle est aussi très agile, très à l’aise dans les coloratures.
Nicolò Balducci : J’adore les coloratures. Je n’y regarde pas les notes, prises individuellement, mais je regarde la phrase musicale pour comprendre où placer la bonne respiration, donner les accents, les couleurs. Au début j’avais beaucoup de facilités pour descendre les notes mais c’était plus difficile de monter les gammes. J’ai dû prendre le temps, travailler beaucoup pour y arriver et aujourd’hui, c’est fluide. Dans les deux sens (rire).
BaroquiadeS : Précisément, comment travaillez-vous ?
Nicolò Balducci : Je travaille beaucoup (rire). En vrai, je m’enregistre beaucoup, pour pouvoir écouter ce que je fais avec l’oreille, comme un auditeur, comme le public. J’aime prendre mon temps Par exemple, pour un air difficile comme Son qual nave, au départ, j’étais inquiet, je trouvais ça très difficile, avec beaucoup/ trop de colorature. Alors, dans ces situations, je travaille lentement et puis j’arrête, j’essaie de ne plus y penser, je travaille autre chose. Et après deux ou trois mois, tu y reviens et ça devient plus facile, les respirations se posent naturellement, comme si ton corps et ta voix avaient continué à travailler sans que tu en aies vraiment conscience. Et aujourd’hui j’adore chanter cet air que je ne trouve plus si difficile.
BaroquiadeS : Et les ornements ?
Nicolò Balducci : Gemma Bertagnoli m’a appris la magie et le goût de faire les ornements en fonction de ce que la voix peut faire de mieux. Pour construire les ornements, je regarde ce que le compositeur a écrit ailleurs et je réintègre, en adaptant, dans mon interprétation. Pour le baroque du milieu du 17ème siècle, par exemple dans Vedro con mio diletto, je commence les phrases sur la dernière note de la précédente pour donner du liant au chant. Quand j’étudie, je chante – et je m’enregistre – avec tout ce qui me vient, même des trucs un peu fous ou hors de propos…(rire). Je m’écoute et je retiens ce que j’aime le plus et ce qui convient le mieux à ma voix. Ça constitue un point de référence pour les ornements et, à partir de ce point, je peux improviser sur le plateau. C’est ça que j’aime faire. Ça m’amuse, je me sens bien. Il faut que chaque interprétation soit unique ; c’est ça que j’aime donner au public.
BaroquiadeS : Vous êtes très jeune et vous avez déjà beaucoup de succès. Vous le vivez comment ?
Nicolò Balducci : Franchement, très bien ! J’utilise beaucoup les réseaux sociaux pour créer un lien avec le public, pour être proche de ce public. J’aime beaucoup la relation avec le public. Par exemple j’aime quand les fans m’attendent après le concert. Ces groupes de personnes que je retrouve par ci par là, me donnent de l’énergie pour chanter et pour continuer. C’est un peu comme ma petite famille.
Après, la vie de chanteur, c’est souvent être seul. Mais j’aime bien la solitude. Je n’en souffre pas trop car je rencontre facilement les gens, je me fais facilement des amis. Ça doit venir de l’enfance quand je parlais avec tout le monde dans le restaurant de mes parents.
BaroquiadeS : Vous avez toujours l’air de bonne humeur…
Nicolò Balducci : Oui, je suis généralement joyeux. J’aime parler avec tout le monde. Au théâtre en particulier avec tous les métiers, pas qu’avec le plateau ou les musiciens. On passe sa vie dans le théâtre, on passe beaucoup de temps à attendre. C’est important de créer quelque chose avec de la joie et de l’affection, qui remplace un peu la famille, qui lui ressemble un peu, car la famille, on ne la voit pas beaucoup dans ces carrières.
BaroquiadeS : Vous avez des projets ? des rêves ?
Nicolò Balducci : J’adorerais aller au Japon, pour chanter et pour visiter ce pays qui m’attire et où je ne suis jamais allé. Professionnellement, quand j’ai un rêve, je le note dans mon agenda, par exemple, je note en mars 2026 que je chanterai tel rôle dans tel opéra dans tel théâtre. Et le jour venu, quand cette date arrive, je mesure le chemin parcouru et tout ce que j’ai fait depuis. Et parfois ça correspond, au moins en partie (rire) !
Cette année je vais chanter Barzane dans Arsilda de Vivaldi en tournée aux Pays Bas et en Espagne. Sinon, je vais chanter le plus souvent en Allemagne. En France, je chanterai Arbate dans Mithridate, sous la direction de Philippe Jaroussky en avril à Montpellier et je dois participer à un concert en juin à Bordeaux. Il y a aussi un projet au Théâtre des Champs-Elysées pour la fin de l’année.
Je suis aussi très heureux de mon album solo Confidenze qui vient de paraître chez Bis : c’est un récital de compositeurs viennois (Beethoven, Haydn et Mozart) accompagné au forte-piano par Anna Paradiso. Ca a été une belle aventure, et j’en suis très fier. J’ai également, à partir de cet album, fait des clips vidéo qui sont visibles sur Youtube.
BaroquiadeS : Quel rapport avez-vous avec les mises en scène ?
Nicolò Balducci : J’aime beaucoup être en scène, faire l’acteur comme on dit en italien. L’opéra est un art total dans lequel il faut tout connecter : le chant, le corps, le costume, l’interprétation, la caractérisation du personnage, etc. J’aime beaucoup cela. Il y a des mises en scène – et des metteurs en scène – qui vous font grandir, qui vous font progresser dans l’interprétation d’un rôle. Cela a été le cas dans le travail que j’ai pu faire, par exemple, sur Néron dans le Couronnement de Poppée avec Ted Huffman. Ce que j’aime, c’est quand le metteur en scène arrive à créer un lien personnel, spécifique entre les personnages et entre les chanteurs qui les jouent. Je parviens toujours à trouver un coté positif dans les mises en scène. Si ce qu’on me demande n’est pas très confortable, j’essaie quand même et si vraiment ça ne va pas, alors on travaille avec le metteur en scène pour changer les choses et les rendre plus confortables. ça crée un lien de confiance qui est essentiel. L’important c’est d’arriver à trouver les deux faces du personnage et de les assumer sur scène : le Néron du Couronnement ne peut pas être que méchant…
BaroquiadeS : Avec qui aimeriez vous travailler ou re-travailler ? Des rôles que vous aimeriez prendre ?
Nicolò Balducci : Beaucoup de personnes (rire) ! Mais j’aimerais beaucoup re-travailler avec Ted Huffman, Chiara Muti ou Christof Loy, travailler avec Damiano Michieletto. J’ai beaucoup d’admiration pour des chefs comme Gianluca Capuano, Rinaldo Alessandrini, Jean-Christophe Spinosi ou Emmanuelle Haïm…
Pour les rôles, ça me plairait de chanter le Néron d’Agrippine, Ruggiero dans Alcina, Eliogabale (Cavalli) ou encore le Serse de Haendel et plus encore Ariodante !

