Deux siècles de musiques pour la viole et le luth, de 1550 à 1750
À voix basses est le nom d’un duo qui associe Juliette Guichard, gambiste, et Martin Billé, luthiste. Originaires tous deux des Pays de la Loire, ces deux jeunes musiciens qui débutent dans le monde professionnel se sont rencontrés au Conservatoire National Supérieur Musique et Danse de Lyon, institution dans laquelle ils finalisent actuellement leur cursus dans leur instrument respectif.
Martin Billé est issu d’une famille dans laquelle la musique occupe une place de choix. Très jeune, son choix se porte sur le luth, un instrument qui le touche tout particulièrement. Au départ, c’est le oud (instrument oriental, ancêtre du luth) qui le fascine et rapidement, il débute l’apprentissage de l’instrument avec Jean-François Deruy, professeur au Conservatoire de La Roche-sur-Yon, sans passer par l’apprentissage de la guitare classique contrairement à la grande majorité des luthistes. Sa passion le mène ensuite naturellement au CNSMD de Lyon où il étudie auprès de Rolf Lislevand. Titulaire d’un premier master de luth, il poursuit ses études afin d’obtenir un second master en basse continue et se produit régulièrement en concert sur divers instruments à cordes pincées baroques, renaissances et médiévaux.

Juliette Guichard © Eric Lambert
Juliette Guichard a quant à elle débuté l’apprentissage de la viole de gambe à sept ans au Conservatoire de Région d’Angers avec Delphine Le Gall au départ, puis ensuite avec Eleanor Lewis. A l’âge de dix-huit ans, elle est admise au CNSMD de Lyon où elle étudie auprès de Marianne Muller dans un premier temps, puis de Myriam Rignol. Elle a également étudié durant une année auprès de Paolo Pandolfo à la Schola Cantorum de Bâle.
Parallèlement, ces deux jeunes musiciens commencent à travailler tous deux au sein de plusieurs ensembles de musique baroque, notamment Matica de Flor (musiques méditerranéennes, extrait à écouter ici) et l’Ensemble Transatlantique spécialisé dans la musique baroque sud-américaine.
Ce jeune ensemble s’est produit le 25 janvier en l’église Saint-Gilles d’Avrillé (agglomération d’Angers) dans le cadre d’un concert proposé par l’association angevine Anacreon, en partenariat avec l’Association des Amis de l’Orgue d’Avrillé, dans un programme très éclectique rassemblant des œuvres de compositeurs de la fin de la Renaissance jusqu’à Marin Marais. Ce programme d’une grande originalité explore deux siècles de dialogues, d’échanges et de rencontres entre deux instruments qui alternent selon les œuvres présentées le rôle de soliste et d’accompagnement. Après un monumental Offertoire sur les grands jeux de François Couperin servi avec talent comme à l’accoutumée par l’organiste Henri Franck Beaupérin sur son orgue mobile Gulliver, place ensuite à une musique des plus intimistes, avec pour débuter deux pièces de la Renaissance composées par Sylvestro Ganassi et Diego Ortiz. Juliette Guichard, à la viole six cordes, accompagnée par Martin Billé à la guitare Renaissance ont d’emblée donné le ton en proposant une interprétation irréprochable de ces pièces avec cette touche de fantaisie qui transfigure des œuvres qui peuvent facilement revêtir un caractère rébarbatif. Toujours dans la même veine, arrive ensuite une succession savamment construite de danses de la Renaissance de Pierre Phalèse, de Michael Praetorius ainsi que trois pièces anonymes, alternant les styles et les tempos. Cette suite jouée de façon très personnelle et originale, était extrêmement intéressante, à noter que les arrangements ont été réalisés par les musiciens eux-mêmes, notamment pour la Caracossa Galliarda de Pierre Phalèse jouée à la guitare renaissance par Martin Billé.
Vient ensuite le volet purement baroque du concert, s’ouvrant sur trois pièces jouées au théorbe par Martin Billé. La Contredanse suivie de son double, tirés de deux manuscrits différents, la Passacaille de Robert de Visée ainsi que la courante L’Immortelle d’Ennemond Gautier permettent d’apprécier le son chaud de l’instrument construit par la luthière espagnole de grand renom Lourdes Uncilla-Moreno, ainsi qu’un jeu absolument impeccable tant par le phrasé que par les ornementations. Juliette Guichard propose ensuite une transcription réalisée par ses soins et totalement réussie de la célèbre Passacaille d’Heinrich Biber. Écrite à l’origine pour un violon en scordatura (accord spécifique déterminé par l’auteur afin d’obtenir des rendus sonores particuliers) , cette œuvre magistrale que l’on ne présente plus et qui tient lieu de conclusion aux Sonates du Rosaire renferme une intensité émotionnelle comparable à la Chaconne BWV 1004 de Jean Sébastien Bach. Il existe plusieurs transcriptions de cette Passacaille pour le luth, mais force est de reconnaître que cette lecture exploitant la richesse du registre grave de la viole se révèle à la fois étonnante et très séduisante.
Le concert s’achève avec plusieurs pièces de Marin Marais, parmi lesquelles figurait le fameux Tableau de l’Opération de la Taille, un ensemble de courtes pièces qui décrit l’angoisse, les souffrances et enfin le soulagement du patient opéré à vif à cette époque afin de retirer des calculs urinaires. Nul doute que Marin Marais en a fait les frais il y a trois siècles avant de composer cette suite quelque peu humoristique, accompagnée par un texte explicatif déclamé et tenant en quelque sorte lieu de légende en présentant chaque étape de cet acte médical. Certes, cette curiosité musico-chirurgicale à vocation descriptive ne compte pas parmi les pièces majeures du compositeur, mais elle constitue un témoignage plein d’humour de cette opération chirurgicale à l’évidence très douloureuse telle qu’elle se pratiquait à l’époque ! Dans leur interprétation, les deux musiciens ont su restituer l’humour intrinsèque à cette suite des plus originales. Plus sérieusement ensuite, venaient cinq autres pièces comptant parmi les œuvres majeures de Marin Marais. En premier lieu, le Tombeau de Sainte Colombe constitue un bel hommage musical empreint de gravité rendu au Maître par un compositeur au faîte de sa gloire. Sublimé par le son d’une viole signée du luthier autrichien Tilman Muthesius, il fut interprété de manière très inspirée par Juliette Guichard, soutenue avec délicatesse par le théorbe de Martin Billé. Et en second lieu, Le Tourbillon, une pièce d’une virtuosité étourdissante, parfaitement maîtrisée par une jeune violiste particulièrement talentueuse qui offre ainsi une conclusion brillante à un programme passionnant… servi de surcroît par une acoustique parfaitement adaptée à la musique de chambre.


