La redécouverte d’une œuvre méconnue de Kusser
Le 14 janvier 2025, au Rokokotheater de Schwetzingen, Adonis, opéra baroque de Johann Sigismund Kusser, nous a offert une soirée éblouissante qui marie tradition et modernité. Avec une mise en scène audacieuse de Guillermo Amaya et une interprétation musicale subtilement nuancée sous la baguette de Jörg Halubek, cette production a brillamment ressuscité une œuvre méconnue, tout en captivant le public par sa richesse émotionnelle et sa profondeur artistique.
La jeune distribution s’est révélée d’une homogénéité remarquable, chaque artiste apportant une singularité vocale et scénique.
Theresa Immerz, dans le rôle de Venus, a véritablement ébloui lors de l’aria Die Götter sind schwach vor der Liebe, dans lequel sa voix cristalline et sa puissance dramatique ont mis en valeur la vulnérabilité inattendue de la déesse de l’amour. Dans une autre scène marquante, Unruhe des Herzens, Immerz a navigué avec aisance entre des passages d’une douceur presque murmurée et des crescendos passionnés, reflétant les tourments intérieurs de son personnage.
Jonas Müller, en Adonis, a touché le public avec son interprétation de Schönheit vergeht, doch Liebe bleibt, un air qui exige une grande maîtrise technique et un phrasé délicat. Sa voix lumineuse et sa sensibilité interprétative ont donné vie aux dilemmes d’Adonis, particulièrement lors de So zart und doch so fern, où Müller a démontré une maîtrise exceptionnelle des passages ornés, tout en incarnant avec grâce la fragilité de son personnage.
João Terleira, dans le rôle de Cupido, a été la révélation de la soirée. Son aria Pfeile der Lust, Pfeile des Schmerzes, empreinte d’espièglerie et de virtuosité, a ravi le public par sa légèreté et son éclat vocal. Dans Was im Himmel noch geschieht, Terleira a atteint un équilibre parfait entre le caractère facétieux et le lyrisme poignant, montrant une véritable profondeur émotionnelle derrière l’apparente légèreté de son rôle.
Rémy Brès-Feuillet, dans le rôle d’Apollon, a offert une interprétation noble et émouvante, particulièrement dans l’aria Glanz des Himmels, Licht der Welt, où sa voix riche et subtile a donné une gravité divine à chaque phrase musicale. Son moment le plus mémorable fut sans doute O erwünschte Glück, une méditation introspective magnifiée par un accompagnement instrumental délicat, mettant en valeur la chaleur et la profondeur de son timbre.
Sreten Manojlović, en Vulcanus, a impressionné avec Tiefe der Erde, Schmiede des Lebens, dans lequel son timbre grave et résonnant a donné une force imposante au dieu forgeron. Dans Feuer und Flammen der Rache, Manojlović a exploré les nuances émotionnelles de son personnage, passant de la colère à une résignation mélancolique avec une finesse vocale remarquable.
Zuzana Petrasová, incarnant Pallas, nous a captivés avec Weisheit über alle Dinge, un air qui exige une voix mezzo riche et nuancée. Sa maîtrise technique a particulièrement brillé dans Schilde der Wahrheit, Schwerter der Tugend, où elle a équilibré puissance dramatique et clarté vocale exceptionnelle. Indre Pelakauskaite, en Daphne, a livré une performance touchante dans Fliehen vor dem Schicksal, révélant une expressivité qui a su transmettre le conflit intérieur de son personnage.
L’orchestre Philharmonisches Orchester Heidelberg, dirigé par Jörg Halubek, a été le fil conducteur de cette soirée magique. La richesse harmonique et l’attention aux détails, particulièrement dans les interludes instrumentaux comme Tanz der Götter (La danse des dieux) et Melodien des Schicksals (Mélodies du destin), ont amplifié l’intensité dramatique et soutenu les chanteurs avec une élégance impeccable.
La scénographie de Stefan Rieckhoff, conjuguant des éléments de style rococo à des touches contemporaines, a créé un cadre visuel envoûtant, où chaque scène semblait un tableau vivant. Les costumes, tout aussi somptueux, reflétaient avec raffinement l’essence baroque de l’œuvre tout en s’intégrant harmonieusement dans une mise en scène résolument actuelle. Aux lumières, Andreas Rehfeld a enrichi cette atmosphère par un jeu subtil d’ombres et de couleurs, accentuant les tensions dramatiques et les moments de tendresse.
La mise en scène de Guillermo Amaya a su souligner l’universalité et la modernité des thèmes abordés dans Adonis. À travers des tableaux empreints de mélancolie et des moments de réflexion subtilement intégrés, Amaya a exploré les méandres des relations humaines, des désirs et des illusions, tout en respectant l’esprit ludique et espiègle du livret original. Chaque personnage a été soigneusement façonné, permettant au spectateur de s’identifier à leurs dilemmes et à leurs aspirations.
Cette production d’Adonis est une célébration triomphale de l’opéra baroque. Grâce à une équipe artistique d’exception et une interprétation musicale profondément investie, le Rokokotheater a offert une expérience théâtrale et musicale inoubliable. Un véritable joyau qui rappelle l’importance de redécouvrir ces œuvres méconnues et de les faire vivre pour les générations futures.


