Actéon – Charpentier


Crépuscule baroque : Actéon au miroir du soleil déclinant

La Chapelle royale de Versailles, dans sa sobre splendeur, accueillait en cette soirée de gala le dernier acte d’un cycle : celui de la première promotion de l’Académie de l’Opéra Royal. Deux années d’apprentissage, d’effort, d’initiation au feu sacré du style, qui trouvent ici leur achèvement dans une soirée où tout converge : spiritualité, beauté plastique, excellence musicale.

En première partie, les Litanies de la Vierge (H.83) de Charpentier sont données dans la résonance grave de la Chapelle. Polyphonie tressée de ferveur, ciselée dans l’acoustique presque liquide du lieu. Ora pro nobis se propage, murmuré puis affirmé, dans une procession sonore vers l’élévation. Les voix s’unissent, se répondent, s’élèvent — non pas dans la grandiloquence, mais dans cette gravité simple, cette prière nue et nue de toute affectation. La justesse de l’équilibre entre chœur et continuo, l’élan souple des lignes vocales, la diction claire : tout évoquait une foi intime, incarnée. Regina Angelorum sonne comme une Epiphanie.

Puis, dans un balancement presque baroque entre profane et sacré, le public glisse — non sans un détour gourmand par un cocktail raffiné servi dans les salons du château — vers la galerie des Glaces.

Le soleil déclinant s’accrochait encore aux ors des miroirs lorsque Actéon débuta. Un opéra de chasse en six tableaux, miniaturiste et brutal. Sur la scène — ou plutôt dans ce corridor de lumière qui fait théâtre par essence — les jeunes académiciens déploient leur science musicale et théâtrale. Attila Varga-Tóth, en Actéon, impose une voix claire, élégiaque, tour à tour noble et brisée. Clarisse Dalles campe une Junon souveraine, tandis que Sarah Charles, Louise Bourgeat-Roulleau, Pauline Gaillard et Flore Royer incarnent une Diane et ses nymphes aux voix fraîches et très caractérisées.

Les costumes — variations inspirées des créations de Christian Lacroix — revisitent la chasse mythologique avec des casques, cuirasses stylisées, drapés mouvants. Les jeunes hommes, sobres en noir et blanc ; les jeunes femmes, comme autant de incarnations de la lumière, en tenues vives, colorées. La scène devient tableau vivant : Le Brun croise Rubens.

La mise en scène de Charles Di Meglio, fidèle à l’esthétique stylisée et codée du théâtre baroque, cisèle les mouvements, les regards, les silences. Le Nymphes, retirons-nous est un tableau bucolique devenu saisissant dès l’irruption du voyeur. Le chœur, omniprésent, Ah, qu’on évite de langueurs, enchâsse le récit dans une double temporalité : l’insouciance pastorale et l’inéluctable tragédie.

Clou de la soirée, l’air Amis, les ombres raccourcies se détache comme une méditation sur la solitude, la beauté éphémère, le pressentiment du drame. Puis vient la métamorphose — sobre, évocatrice — et enfin la mort : chantée dans un chœur final d’une tension presque antique. L’écho de Jamais troupe de chasseurs… puis le lamento final, d’un dépouillement bouleversant, suspend le souffle.

L’émotion de fin de cycle est palpable. Ce n’est pas seulement la fin d’un spectacle : c’est une page qui se tourne pour ces artistes, que l’on a vus mûrir au fil des mois. L’Académie de l’Opéra Royal affirme ici sa pertinence, sa vitalité. Chloé de Guillebon, à la direction et au clavecin, mène avec précision, souplesse et grâce cet équipage de jeunesse promise aux plus beaux rivages.

Et comme en écho à cette perfection fragile, le public redemande en bis : Ah, qu’on évite de langueurs… L’art, lui, reste. Le chant se prolonge dans la mémoire.

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