Pace e guerra - Terry Wey

Pace e guerra - Terry Wey ©Deutsche Harmonia Mundi
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Un plaisir de gourmet

Le castrat Antonio Maria Bernacchi (1685-1756) a été caricaturé comme monstrueusement obèse (certaines caricatures montrent même un comparse soutenant sa bedaine sur scène) mais aussi comme incroyablement virtuose. Ci-dessous, par exemple, ses vocalises partent à l'assaut du campanile de San Marco.



Couronné de succès internationaux, respecté par le jeune Farinelli, Bernacchi est reconnu comme exemplaire de l'école de Bologne, sa ville natale, dans laquelle il fut formé par Pistocchi. L'école de Bologne est alors celle de l'excellence du bel canto, associant technique pyrotechnique et expressivité. Les rôles endossés par le contralto Bernacchi associent donc des airs d'héroïque agilité et des arias de demi caractère, riches d'ornements ciselés.

Avec cet enregistrement, Terry Wey rejoint la cohorte des hommages rendus par les contre-ténors aux castrats. Parmi les nombreuses arias écrites pour Bernacchi par les plus grands compositeurs de son temps, le choix de Terry Wey privilégie les airs expressifs au détriment des airs les plus héroïques. De même, le programme fait la part belle aux raretés et évite les tubes, à une exception près.

Bien entendu, figurent dans cet enregistrement des airs vifs dans lesquels Terry Wey fait montre d'une belle virtuosité et de beaux aigus. On relèvera en particulier la belle énergie qui anime le Pace e guerra du Lucio Vero de Torri, aux impeccables vocalises et à la grande netteté, ou encore le vertigineux et rapide Furibondo spiral il vento de Partenope (Haendel) achevé sur un impressionnant saut de registre aboutissant à un très beau grave poitriné. L'extrait d'Ariodante de Pollarolo met en évidence une belle longueur de souffle, la pureté du timbre et une virtuosité technique qui semble se jouer des difficultés. Le A dispetto du Bajazet de Gasparini conclut une brillante démonstration des capacités virtuoses de Wey, qui met toute la rage souhaitable dans cet air de colère.

Le bel air d'Arsace de Sarro (Quell'usignuolo) déploie des charmes bucoliques, appuyés sur un medium clair et charnu. Ces mêmes qualités apportent une ampleur inhabituelle à la déclamation du Ch'io parta extrait du Partenope de Haendel. En duo avec Vivica Genaux, le duetto caressant extrait du Demetrio de Hasse (Dal mio ben che tanto amai) constitue une intéressante découverte. C'est d'ailleurs l'un des six enregistrements en première mondiale que contient ce disque. Non disperi peregrini, extrait de Lotario (Haendel) est une rareté dans laquelle Terry Wey déploie un legato sinueux et délicieux et des aigus soyeux. Même legato inspiré dans le Taci o di morte (Vinci), brodé de piani aériens et de trilles traités en sanglots. Enchaînant sur le terzetto tiré également d'Il Medo de Vinci, le programme associe Valer Sabadus et Vivica Genaux dans ce charmant ensemble. Autre première mondiale, l'aria extraite de l'Amadis di Grecia (Torri) est une déclaration d'amour ponctuée de pianissimi aigus de toute beauté et l'ornementation du da capo est particulièrement soignée et impressionnante de profondeur sentimentale. À mon sens cet extrait est la plus belle plage de cet album. Le programme se conclut avec le Parto, non ho Costanza  du Venceslao de Torri, sublime déploration conduite ici encore avec beaucoup d'expressivité et servie par une longueur de souffle remarquable.

Sous la baguette de Rubén Dubrovsky, le Bach Consort Wien accompagne scrupuleusement le superbe travail de Terry Wey et, même si on aurait pu aimer un peu plus d'audaces orchestrales, leur sobriété soutient parfaitement les intentions et la démonstration du contre ténor.

Au total, cet enregistrement mérite une place dans vos discothèques, tant il sert une vision du baroque autant expressive que virtuose et agile. Si le timbre est moins corsé que celui de nombre de ses collègues, la voix de Terry Wey est d'une étendue importante et surtout d'une belle homogénéité qui évite les ruptures de registre. A un aigu qui sait autant se faire aérien que rayonnant, répondent des graves de toute beauté. La technique belcantiste est tellement maîtrisée que l'auditeur l'oublie rapidement et peut profiter d'ornementations traitées avec goût et élégance. Moins immédiatement évident que d'autres hommages, cet album de Terry Wey se dévoile au fil des écoutes, procurant un plaisir de gourmet.



Publié le 09 mai 2017 par Jean-Luc Izard