Le Rameau d’Olivier - Vernet & Meckler

Le Rameau d’Olivier - Vernet & Meckler ©Bernard Martinez
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De flamboyantes transcriptions à quatre mains

Dans cet enregistrement, le duo composé de Cédric Meckler et Olivier Vernet réunit les conditions pour tenir en haleine l’auditeur autour de plusieurs extraits des œuvres de Jean-Philippe Rameau retranscrites à l’orgue, nous rappelant ainsi que ce dernier fut lui même organiste pendant plusieurs décennies, avant de connaître tardivement la renommée avec son premier opéra, Hippolyte et Aricie.

Le projet musical est limpide. L'engagement de ces deux interprètes apporte à cette musique du XVIIIe siècle un sens tout à fait contemporain. Leur disque constitue un support qui incite l'auditeur à penser son écoute. Cela n’est à vrai dire pas tout à fait surprenant, car ce duo est spécialiste du contrepoint. Et le travail d'Olivier Vernet sur les œuvres de Bach y est probablement pour beaucoup. Comme le dit Cédric Meckler dans la notice qui accompagne le coffret « Par ses multiples réemplois et presque trois siècles plus tard, Rameau communique une irrésistible envie de transcrire à notre tour ces œuvres ».

Les deux organistes ont donc transcrit pour l’orgue ces pièces orchestrales. Il est fréquent que l’on considère que registrer à l’orgue revient à composer un orchestre à soi : c’est une erreur que ne font évidemment pas de grands professionnels comme Olivier et Cédric ! Expliquons-nous : il est exact que les jeux de l'orgue (tuyaux) possèdent un son particulier (timbre) - au point que certains d’entre eux s’appellent Clarinette, Hautbois, Basson. Mais c’est à tort que cette terminologie identique au nom de l'instrument d’orchestre incite à assimiler orgue et orchestre - on entend ainsi couramment que le langage musical est coloré par les jeux de l’orgue, et que les instruments de l’orchestre font de même. Or il ne faut pas confondre les moyens et la résultante. Les registres ont chacun un but rythmique, une couleur et une capacité plus ou moins grande à se mélanger à d'autres. Cette notion de rythme est fondamentale. A l’orgue, le rythme est produit par un homme (l’organiste : rythme global) pour construire un ensemble (diversité). A l’orchestre, chaque instrumentiste produit son rythme propre (diversité) pour composer un ensemble unitaire. Le chemin qui mène au résultat sonore est donc exactement inverse !

L’ère baroque a transformé l'ancien héritage médiéval en une polyphonie flamboyante. Dans la chaconne de Castor et Pollux, on peut encore observer la lutte entre le système musical de la Renaissance et celui de l'époque baroque. Celle-ci transparaît dans le double recours à la marche harmonique - qui épouse un rythme court-long/ grave-aigu répété - et au trait mélodique, répété et transposé. La registration avec des anches renforce cette triple équation. Cette juxtaposition témoigne de l’emprise à cette période du « thème et variations », que l’on pourrait reformuler en « thème et juxtapositions ». Cet affrontement créateur laisse entrevoir au loin, et de manière surprenante, ce que sera plus tard la musique de Beethoven, largement postérieur à l'époque baroque.

Ce travail remarquable sur le rythme se poursuit dans les Tambourins : le rythme passe successivement de vertical à horizontal ; le rythme verticalisé divise le temps en blocs, appelés habituellement harmonies. Le duo s'en saisit pour en dégager un discours au fort relief.

L’ouverture d’Hippolyte et Aricie constitue une rupture avec les morceaux précédents. On y apprécie la dimension spectaculaire de ses notes rapides répétées par ce duo qui en a écrit la transcription. Dans ce passage le duo montre de manière éclatante sa maîtrise technique de l’instrument : celui-ci doit fournir beaucoup de vent, sans qu’il y perde à un quelconque moment en qualité du timbre. Cette qualité technique se retrouve bien entendu dans l’ensemble des transcriptions de l’enregistrement.

La chaconne qui suit est elle aussi revisitée. La transcription met l’accent sur l’intensité de la dramaturgie théâtrale de cette danse. Les anches de l'orgue de la basilique Sainte-Marie Madeleine de Saint Maximin la Sainte Baume remplissent superbement cet office. En particulier, le plénum pour la partie contrepoint est somptueux.

La polyphonie de La Forqueray est articulée en marche harmonique ; les canons se répondent en jouant avec la résonance acoustique du lieu. Les aigus sont cristallins et les basses légères. La parfaite exécution de cette pièce savoureuse souligne davantage la valeur les interprètes que l'intérêt musical de sa partition. Les petits traits rapides dans les médiums basses rappellent aux compositeurs d’orgue contemporains que les arpèges ininterrompus ne constituent pas des figures très nouvelles, ni dans la composition ni dans l’improvisation.

L’ouverture de Dardanus apporte à mon sens peu de nouveauté par rapport aux transcriptions précédentes, et répéter ce qui a été déjà dit affaiblit le propos. On y apprécie toutefois particulièrement le discours très clair et la registration soignée. Les amateurs d'orgue goûteront la qualité du cornet, des anches et du fond d’orgue (ensemble des flûtes) somptueux de cet orgue Isnard de 1774, préparé pour l’occasion par Pascal et Raphaël Quoirin.

La transcription des extraits des Indes Galantes qui referment cet enregistrement demeure proche de la partition originelle. Celle-ci reste très présente, alors que le duo nous avait entraîné dans les premiers morceaux à une progression dans la transcendance. La volonté créatrice des interprètes appliquée à cet héritage musical à la forte notoriété porte toutefois un discours convaincant, dans lequel on retrouve les qualités d’interprétation énumérées précédemment.

L’enregistrement, produit par le label Ligia, est disponible en versions CD et dématérialisée. Soulignons au passage l’excellente prise de son réalisée par Eric Baratin, qui met en valeur la précision des deux organistes. Ceux-ci s’y montrent des ambassadeurs très convaincants de la musique baroque française, qu’ils ne manqueront pas d’emmener dans leurs concerts à l’international. Après les avoir croisés récemment dans un enregistrement consacré à la famille Bach (lire notre chronique), ce fut un réel plaisir de les retrouver ici dans l’œuvre de Rameau.



Publié le 09 mai 2020 par Thomas Malarbet