Motteti e canzone virtuose - Guilde des Mercenaires

Motteti e canzone virtuose - Guilde des Mercenaires ©Laureen Kéravec
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Une virtuosité soignée et sincère, des œuvres sublimées

Le cornettiste Adrien Mabire partage de nouveau sa passion pour la musique italienne du XVIIe siècle en proposant un enregistrement consacré à la musique virtuose pour instruments. Pour son programme, le coordinateur artistique de La Guilde des Mercenaires a restreint ses choix aux œuvres composées par des vénitiens, dont le geste instrumental égale la virtuosité vocale.

Ecrits pour accompagner les offices dans des bâtiments imposants, telle la Basilique San Marco, ces motets et chansons sont autant de terrains de jeu idéaux pour les « Hauts-Instruments », comme le cornet à bouquin ou la bombardine, que pour les instruments plus intimes, comme les flûtes. Une réflexion studieuse a toutefois été faite pour le choix de l’orgue, afin de parvenir au parfait équilibre entre l’amplitude de son et la finesse d’interprétation que ces œuvres requièrent. Si l’orgue de San Petronio de Bologne était d’abord envisagé, le choix s’est finalement porté sur l’orgue Renaissance de l’abbaye de Saint-Amant de Boixe, instrument du facteur Quentin Blumenroeder inauguré en avril 2012, notamment grâce au travail de l’association Dom Rémi Carré. C’est ainsi que Adrien Mabire et sa Guilde des Mercenaires signent un enregistrement extrêmement soigné, démontrant une virtuosité parfois impressionnante de précision et de souplesse, avec néanmoins beaucoup de goût et de retenue.

Tout au long du disque, on apprécie particulièrement le travail de l’ensemble, dont la réflexion commune des directions musicales est si homogène qu’elle permet à chacun d’assumer leur propre identité musicale et le caractère de leur instrument avec assurance. Dès la première piste, la Canzon supra Susanna de Ippolito Tartaglino (ca. 1539 - ca. 1582), l’auditeur est frappé par la sensibilité de la conduite des lignes qu’offrent les instruments à vent, sans aucune discontinuité. Bien que l’ensemble soit très homogène, chaque partie reste indépendante et très distincte. La prise de son de Ken Yoshida est sans doute tout aussi soignée et équilibrée. Peut-être, à quelques rares moments, aurait-on aimé un orgue un rien moins en retrait – par exemple lors de son divertissant duo avec le cornet, la Sonata per cornetto e organo de Biagio Marini (1595 - 1663).

Grâce à la clarté des parties et, surtout, des sonorités des instruments à vent, les œuvres sonnent facilement avec largeur et prestance. L’interprétation en est quasi royale dans la Canzon a sei de Giovanni Valentini (ca. 1582 - 1649) ou fière avec la Sonata sestadecima a tre de Giovanni Battista Fontana (ca. 1571 - 1630). Cela n’empêche pas les moments plus épurés, dont les ornementations finement dosées donnent le juste mouvement pour avancer sans aucune précipitation, tel dans la Sonata per violino e basso de Giovanni Paolo Cima (ca. 1582 - 1649).

On sent parfois que la justesse requiert une attention de chaque instant toute particulière, le diapason de l’orgue – accordé au tempérament mésotonique (les quintes sont diminuées afin d’améliorer la justesse des tierces) et à 465 Hz – étant très haut et fort sensible aux changements de température et d’hydrométrie. Toutefois, cette attention est parfaite chez tous les musiciens, le résultat étant alors tout à fait convaincant.

Le talent de chaque instrumentiste a plusieurs fois l’opportunité d’être mis en lumière, à commencer par celui du cornettiste Adrien Mabire. D’abord, par la précision de son discours, on apprécie constamment sa direction musicale évidente et la fluidité de ses ornements, toujours très raffinés, et la diction de ses rythmes, notamment les élégantes hémioles de la Sonata terzadecima de Giovanni Battista Fontana. Grâce à la douceur de ses lignes et à son lyrisme retenu, sa virtuosité évidente ne se montre jamais démonstrative, encore moins gratuite, son geste instrumental se rapprochant indéniablement d’un geste vocal, au service du discours mélodique. Elsa Franck séduit tout autant, particulièrement lors de sa lumineuse diminution à la flûte soprano de Ancor che col partire de Giovanni Pierluigi da Palestrina (ca. 1525 - 1594), très joli commentaire orné du chant précédent. On apprécie l’agilité du basson de Jeremie Papasergio lors de la Sonata prima de Giovanni Antonio Bertoli (1605 - 1669), dont le très calme tapis d’accords de l’orgue laisse au basson toute la liberté d’impressionner l’auditeur, par sa virtuosité et sa technique de souffle. L’organiste Jean-Luc Ho convainc par la justesse de ses accompagnements, dont la présence est toujours parfaitement dosée par de justes utilisations et mélanges des jeux. La transparence des différentes parties de ses partitions est également particulièrement séduisante lors de la Sonata per cornetto e organo de Marini. Avec Adrien Mabire, peut-être aurait-il pu se divertir davantage en prenant un rien de risque.

Afin de mettre en évidence le lien entre la vocalité et le geste instrumental, la soprano Violaine Le Chenadec rejoint la Guilde pour quelques pièces, ajoutant encore en douceur et en souplesse grâce à sa voix caressante, voire angélique. L’aisance et la pureté de son registre aigu, dont le rare vibrato est dosé avec finesse, sont des qualités particulièrement agréables. On peut néanmoins souffrir de leur pendant qui est une compréhension souvent difficile, le texte manquant de consonnes. L’attribution des différentes parties n’étant pas figées, l’ensemble possède une grande liberté dans les propositions sonores en jouant avec les effectifs et les parties ; c’est ainsi que la soprano chante la partie de ténor du Pulchra es amica mea de Palestrina, les trois flûtes ne l’accompagnant pas mais chantant véritablement avec elle. Lors de la Sonota sestadecima a tre de Cypriano de Rore (ca. 1515 - 1565), on est agréablement surpris d’entendre, le seul temps de cette sonate, le grain et la sensibilité du violoniste Guillaume Rebinguet-Sudre.

L’enregistrement se conclut avec le joyeux Iubilent Omnes de Giovanni Antonio Roccio (ca. 1600 - après 1621), dans lequel tout l’ensemble démontre une dernière fois sa capacité de sonner large, non pas par la puissance du nombre mais par la dynamique de leur caractère et de l’agilité soignée et équilibrée des mouvements créés par les ornementations. La Guilde des Mercenaires prouve ainsi que la virtuosité sert indéniablement le sublime geste musical grâce à la recherche constante de la justesse et du raffinement de l’interprétation de cette agile musique italienne.



Publié le 28 nov. 2019 par Emmanuel Deroeux