Méditations pour le Carême - Charpentier

Méditations pour le Carême - Charpentier ©
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Louis-Noël Bestion de Camboulas et Les Surprises remettent Charpentier sur le chantier

Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, la « mode Charpentier » a présidé à l'émergence en France de toute une génération « d'interprètes baroqueux » dans un répertoire que nous, les mélomanes, avions bien oublié. Mais l'élargissement du répertoire, en particulier à d’autres musiciens français du Grand Siècle, mais également l’évolution du répertoire vers l’Italie et l’Allemagne, a eu comme conséquence une certaine raréfaction d'enregistrements, au cours des cinq à dix dernières années, d'œuvres de Charpentier. On peut tout de même noter, durant cette période, des succès retentissants comme : Orphée descendant aux enfers par Reinoud Van Mechelen (Alpha 2019), ou Miserere et les Litanies de la Vierge par Sébastien Daucé (Harmonia Mundi 2013) et bien d’autres encore… Toutefois, Marc-Antoine Charpentier (1643 – 1704), reste l’un des compositeurs les mieux servis au disque, en rapport avec son œuvre : plus de 500 compositions à son catalogue, qu’il a lui-même organisé à la fin de sa vie, négligeant ainsi, au moins, 300 autres ! Et depuis quelques années on retrouve Charpentier, avec joie, dans des interprétations plus mûries et distanciées.

Parmi son catalogue pléthorique, les Petits Motets ont été l’une des formes les plus utilisées par Charpentier, au même titre que les Grands Motets (ou Motets à grand chœur), même si ces derniers sont plus connus. Les Motets (grands et petits) ont été en vigueur dans la chapelle de Louis XIV (en général un Grand Motet, mais souvent plusieurs, était donné chaque jour, avec grand renfort de solistes, chœurs et « orchestre ») et des rois qui lui ont succédé. Lully, Desmarest, Delalande… et Charpentier s'y sont essayés. On retrouve beaucoup de compositions de cette forme, jusqu'à l’Empire compris. Les Petits Motets sont écrits pour quelques voix (de une à trois) avec un nombre très limité d’instrumentistes et sont souvent données dans des « petites églises ».

Le nouvel enregistrement des Méditations pour le Carême (H380 à H389), agrémenté de quelques compositions d’autres musiciens du Roi Soleil, par Louis-Noël Bestion de Camboulas avec son ensemble, Les Surprises, pour le Label Ambronay, en est un exemple frappant. Car subtilement cet enregistrement est organisé autour de compositions qui ont été recueillies, conservées ou même écrites par Sébastien de Brossard (1655-1730). Ce prêtre, compositeur, théoricien mais surtout extraordinaire collectionneur, qui en 1724 a cédé à la Bibliothèque Royale (puis Bibliothèque Nationale) son immense collection musicale (presque 1000 ouvrages, dont plus de 400 partitions, en général religieuses), qui contenait justement la partition des Méditations pour le Carême de Charpentier.

Cette œuvre n'est pas clairement identifiée, ni pour l’année de son écriture, ni pour les circonstances. Cet ensemble de dix Petits Motets, semble montrer une structure proche d’une Passion, mais les premier et dernier Motets (Avec la désolation, Dieu a tenté Abraham), semblent, un peu, éloignés de cette forme générale. Difficile de totalement comprendre leur présence dans cette composition... Les leçons des Ténèbres, du même Charpentier (ou d’autres compositeurs de la même époque) sont elles aussi assez proches de cette structure musicale.

Pour ce qui est des enregistrements existants des Méditations pour le Carême, le mélomane a déjà été a priori bien servi : William Christie avec Les Arts Florissants (Harmonia Mundi Universal, 1985), puis Hervé Niquet avec le Concert Spirituel (Glossa, 2001) et enfin Frédéric Desenclos qui dirige l’Ensemble Pierre Robert (Alpha, 2005), pour ne citer que les cycles complets. Ces trois versions se disputant à notre avis la palme, selon l’angle d’écoute. Aucune n’étant à rejeter, elles sont souvent assez complémentaires dans leur approche.

Pour ce nouvel enregistrement, le chef, Louis-Noël Bestion de Camboulas, a favorisé la variété des ambiances exacerbées par la profondeur et le dépouillement musical : une économie de moyens extrême sans jamais sombrer dans l’austérité. Cette façon de mener le drame focalise l’auditeur sur la diction et le phrasé des chanteurs, qui ici sont exemplaires. Chaque partie est un vrai drame, où les solistes incarnent les différents intervenants de la Passion et semblent s’opposer au chœur, qui ressemble, à s’y méprendre, à l’évangéliste des Passions de Bach. La plage 4 (Judas l’un des douze) est l’un des climax de ces Méditations, où Judas est tiraillé entre chute et élévation, après sa trahison. La plage 9 (Seule Marie Madeleine en deuil) est à notre avis, l’autre moment incontournable. On écoute les tourments sans fin de la pécheresse, affligée et désespérée, comme rarement une composition musicale l’a fait !

Les « compléments de programme » sont particulièrement bien choisis, dans une atmosphère assez voisine des Méditations. On retiendra le magnifique, une profonde méditation (trop courte à notre sens), tombeaux (musicaux, bien entendu, comme cela se faisait très souvent à cette époque) de Robert de Visée (trop peu enregistré encore) à ses filles trop jeunes disparues, magnifiées par le théorbe d’Etienne Galletier. Même commentaire pour le motet Salve Rex Christe de Sébastien de Brossard (à deux voix égales, les ténors), qui est une broderie musicale extraordinaire, comme finalement peu de compositeurs français de l’époque s’y sont aventurés.

En aucun cas un programme austère, comme on serait tenté de le croire, mais un enregistrement cohérent et équilibré à souhait, souple, toujours avec la juste expression. Les musiciens et chanteurs sont de grandes qualités avec un sens de la narration, pas uniquement vocal. Le tout dans un enregistrement techniquement exemplaire.



Publié le 07 oct. 2020 par Robert Sabatier