Maîtres du Motet - Brossard

Maîtres du Motet - Brossard ©
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Splendeurs cachées des maîtrises du Grand Siècle

Si le grand motet à la française s’avère chaque jour un peu plus connu (voir de récentes parutions consacrées à des œuvres de Michel-Richard de Lalande, dont certaines ont été chroniquées dans ces pages), on ne peut en dire autant du répertoire des maîtrises des provinces de l’Ancien-Régime. Il y a pourtant là un gisement inestimable, mais dont les œuvres, malgré leurs grandes beautés, ne peuvent intéresser semble-t-il pour le moment qu’un public averti, que l’univers dévotionnel du Grand Siècle fascine. Certes, pour ne citer que quelques exemples, d’Helfer, Le Prince, Danielis, Levens, Madin ou encore Dupuy sont sortis ponctuellement de l’ombre, mais il reste tant à découvrir.

Et ce n’est pas ce récent opus qui viendra véritablement compléter notre connaissance en la matière, les œuvres données ici, ayant déjà été, à de rares exceptions, enregistrées. Toutefois, la qualité de leur restitution ne nous fera guère reprocher aux Arts Florissants et à Paul Agnew qui les dirige, de s’être à nouveau penchés sur leur splendeur - presque - cachée.

Concernant Sébastien de Brossard (voir la chronique dans ces colonnes), Olivier Schneebeli avait ouvert la voie lors des journées consacrées par le Centre de Musique Baroque de Versailles, en juin 1995, en restituant quelques très belles œuvres, telles que le Retribue servo tuo (SdB.4), la Messe de Noël (SdB.5) mais aussi l’extraordinaire Stabat Mater (SdB.8) que l’on retrouve ici avec un plaisir non dissimulé. Hervé Niquet, lui aussi, en avait donné une version, assez étrange par la couleur d’un chœur uniquement masculin, mais surtout en confiant certains versets aux seuls instruments, nous privant notamment du premier et de son exorde vocal saisissant. Ici, la fidélité à la partition de Sébastien de Brossard est totale : un chœur à la française à cinq voix, comprenant dessus, hautes-contre, tailles, basses-tailles et basses, d’une couleur splendide s’empare avec émotion de cette page de haut vol. Sur un cantus firmus, partagé entre les deux voix graves, le maître de la cathédrale de Meaux a tissé un contrepoint de toute beauté, sollicitant au passage beaucoup les dessus qui percent le ciel de leur si bémol aigu, pour éclairer la cadence finale d’une lumineuse tierce picarde. Les versets s’enchaînent, puisant leurs voix solistes dans le chœur, déployant au passage de petits ensembles (O quam tristis), reprenant le verset initial (). L’un des passages les plus impressionnants est assurément le Quis est homo, dont les chromatismes ascendants et torturés sur dolentem et passant à tous les pupitres donnent le frisson. Le sommet est atteint avec la merveilleuse fugue à la française sur Quando corpus morietur en valeurs longues que contrepointent les dessus d’un motif ductile et inoubliable sur Paradisi gloria, avant que n’éclate l’Amen final, lui aussi fugué et conclu par une cadence plagale qui laisse l’auditeur dans un état d’extase. Schneebeli recourait à ses pages angéliques, mais ses solistes, parmi les chantres, s’avéraient encore parfois un peu verts. Ici, réalisation et émotion nous comblent tout à fait.

Le Miserere mei Deus (SdB.53), à ne pas confondre avec le grand motet éponyme (SdB.1 que Christophe Coin avait restitué chez Astrée Auvidis), est une page empreinte d’austérité, qui pourrait trouver aisément sa place à la fin de quelque office des Ténèbres. Une voix de dessus alterne avec des versets en faux-bourdon, dans l’esprit de l’œuvre analogue de Michel-Richard de Lalande, dont Sébastien de Brossard avait justement effectué une copie en 1711. Fort judicieusement introduit et conclu par des pages extraites des messe d’orgue d’André Raison, l’œuvre met en valeur les magnifiques voix de Juliette Perret et Rachel Redmond, auxquelles répondent les autres dessus, dans un climat de recueillement absolu.

C’est cette même atmosphère de prière qui plane sur l’Ave verum corpus (SdB.10) final et attribué à Sébastien de Brossard par Jean Duron. D’un style harmonique très épuré, cette page en Ut majeur vient terminer avec sérénité ce corpus consacré au musicien de Bossuet.

L’autre maître représenté au travers de cet enregistrement est Pierre Bouteiller (c.1655-1717). Actif auprès de la maîtrise de Troyes et à Châlons-sur-Marne, celui-ci fit cadeau de « treize excellents motets et d’une très bonne Messe pro Defunctis » à son confrère Brossard, à qui nous devons la préservation de ce précieux héritage (et de beaucoup d’autres partitions, qui auraient disparu sans lui).

Écrite dans les tonalités de fa majeur (Introït, Kyrie), ré mineur (Graduel) sol mineur (Offertoire), la mineur (Sanctus, Pie Jesu, Agnus Dei) et sol majeur (Lux aeterna), son plan rappelle, de ce fait, le Requiem de Campra, mais avec une économie de moyens bien plus grande, puisque seule la basse continue y est présente pour soutenir les cinq voix. À l’instar des messes des défunts de l’époque, repos et lumière sont pris au pied de la lettre, ce qui nous vaut un climat particulièrement apaisé.

Hervé Niquet avait lui aussi donné cette messe, mais dans un arrangement pour voix d’hommes, suivant certes des principes de l’époque. Cependant, du fait de ce choix, l’ordre des voix s’en trouvait singulièrement modifié, conduisant à perdre la luminosité qui provient ici de dessus souvent haut perchés. Il va sans dire, que la version des Arts Florissants a très nettement ma préférence !

Le splendide contrepoint de l’Introït, avec son intonation sur fa qui évolue vers la sous-dominante, déploie ses lignes avec une lisibilité parfaite, le chœur se montrant d’une précision exemplaire. Le Kyrie est luxueux : il est non seulement entonné en plain-chant, par les femmes puis les hommes (l’effet dans l’abbaye devait être magique), mais il donne lieu ensuite à un traitement polyphonique de Bouteiller de toute beauté. Le Christe est traité en trio, par des voix solistes, tirées du chœur (Élodie Fonnard, Nicholas Scott et Benjamin Alunni). La gravité imprègne le Graduel Si ambulem in medio umbrae mortis (Si je circule en pleine ombre de la mort), qui donne lieu à des échanges entre petit chœur et grand chœur. L’offertoire réserve de belles surprises, entre de savoureuses dissonances sur de poenis inferni et cet allègement soudain de la basse continue sur de profundo lacu avant que n’éclate la splendide conclusion du Quam olim Abrahae. Le Sanctus débute dans la douceur pour s’animer lors de l’Hosanna. Les changements de tempi à l’intérieur d’une même pièce sont particulièrement réussis, grâce à la direction souple et d’une grande sobriété de Paul Agnew. Le Pie Jesu et l’Agnus Dei sont remplis de ferveur. Le Lux aeterna, en sol majeur, « doucement joyeux » comme aurait dit Marc-Antoine Charpentier achève cette messe d’une rare perfection. On comprend que Sébastien de Brossard l’ait « toujours conservée fort précieusement, comme un des meilleures qui soit dans [son] cabinet ».

Pour ma part, voilà un enregistrement, que je recommande sans la moindre réserve. Les amoureux de cette musique sacrée, édifiante et qui répugne aux effets faciles, trouveront ici assurément matière à élévation.



Publié le 03 nov. 2018 par Stefan Wandriesse