George Dandin & La Grotte de Versailles - Lully

George Dandin & La Grotte de Versailles - Lully ©
Afficher les détails
Un grand divertissement royal

Après avoir exploré avec bonheur les domaines du petit et du grand motet à la française avec son Ensemble Marguerite Louise (lire notre compte-rendu La Messe du Roi Soleil), Gaétan Jarry poursuit son chemin animé d’une ardeur sans pareille. Alors que nous appelions de nos vœux lors d’une chronique relative aux célèbres Arts Florissans (sic) de Charpentier (se reporter à notre chronique), que soit enregistrée cette Grotte de Versailles de Lully (connue aussi sous le nom d’Églogue de Versailles), la voici enfin, suivie de l’excellente musique composée par le surintendant de Louis XIV pour le George Dandin de Molière. C’est peu dire que ce nouveau fleuron de la collection Château de Versailles Spectacles vient illuminer la triste période que nous traversons depuis plusieurs mois. Puissent les ambitieux et merveilleux projets poursuivis par Laurent Brunner et son équipe continuer à voir le jour ! C’est un besoin vital.

Disons tout de go combien ce nouvel album éclipse les versions remontant parfois à plusieurs décennies et le plus souvent incomplètes, donnant toutefois un avant-goût des œuvres ici réunies. Ainsi, en 2001, Hugo Reyne signait un joli enregistrement de La Grotte de Versailles. George Dandin, quant à lui, n’avait fait que des apparitions partielles (Malgoire, 1974 ; Minkowski, 1988 ou encore Christie, 2002). Ici, ces partitions somptueuses sont restituées dans leur intégralité pour notre plus grand plaisir. Pour augmenter l’effet de fête royale, marche aux timbales retentissantes (Marie-Ange Petit est aux commandes, c’est dire l’allégresse qui s’établit d’emblée) suivie des fanfares de Psyché (que Gaétan Jarry serait bien inspiré de donner en entier) plantent un décor suggérant aussitôt charmilles, topiaires et perspectives infinies.

Parure musicale de la Grotte de Thétis (aujourd’hui disparue), véritable palais d’eau et de coquillages, mettant en valeur les groupes sculptés d’Apollon servi par les nymphes et des Chevaux du Soleil, La Grotte de Versailles offre une partition habitée d’un charme mélodique constant. L’œuvre eut beaucoup de succès jusqu’au début du XVIIIe siècle. En témoignent d’ailleurs de nombreuses transcriptions pour clavecin de l’ouverture ou plusieurs parodies des chansons pastorales qui s’y succèdent avec un bonheur récurrent. Premier fruit d’une collaboration appelée à s’épanouir entre Lully et Quinault, le livret ne présente guère d’intérêt dramatique mais vise à célébrer, dans un même élan, les louanges du monarque comme celles de l’Amour.

Après une courte ouverture en sol mineur, une vaste séquence présente en alternance de petits airs organisés en plusieurs strophes et qui, une fois exposées par un soliste, sont amplifiées par la reprise du chœur. Quelques danses viennent s’intercaler pour offrir une courte respiration et jouer de nouveaux coloris (ritournelle pour les flûtes par exemple). Aussi les ingrédients sont-ils déjà réunis pour permettre à Lully, quelques années plus tard, d’élaborer les somptueux portiques que constituent les prologues de ses tragédies en musique.

Si David Witczak (Silvandre) nous avait déjà séduit dans Charpentier, il sait aussi se faire tendre ici, rejoint par le Coridon à la voix lumineuse d’Antonin Rondepierre. Le Licas de Lancelot Lamotte entonne un bondissant Dans ces charmantes retraites, tel un coryphée, galvanisant le chœur qui lui répond. Les deux bergères offrent un savoureux duo en mineur Goûtons bien les plaisirs, Bergère auquel succède un dialogue entre Ménalque (remarquable François-Olivier Jean) et Coridon, dont on remarquera le beau mouvement chromatique ascendant sur La liberté n’a rien de si doux que ses traits. Si les aigus du Daphnis chanté par David Ghilardi semblent un peu tendus, il n’en honore pas moins son rôle avec mérite et nous offre un fort beau dialogue avec le chœur dans Chantez dans ces lieux sauvages. Le deuxième duo des Bergères, aux effets de musettes et sur un rythme de canaries, est totalement irrésistible et l’on imagine sans peine le public l’adopter aussitôt (Ces oiseaux vivent sans contrainte), tant les voix se caressent et dansent littéralement ensemble.

Mais le sommet de la partition est assurément la Plainte d’Iris (Dans ces déserts paisibles) où Juliette Perret offre une voix chaude aux accents magnifiquement expressifs. Introduit par une ample ritournelle aux dissonances suggestives, l’air se déploie avec une gravité intérieure qui annonce les meilleurs monologues des tragédies en musique à venir. Dans le double (D’une rigueur extrême), délicatement ciselé dans son ornementation, Lully rend hommage à son beau-père Michel Lambert, reconnaissant sa dette envers celui dont il a complètement intériorisé la manière.

Les échos, propres aux phénomènes acoustiques de la Grotte, donnent lieu à un vaste développement aux effets des plus réussis. C’est d’abord Iris, que seconde Écho, qui adopte soudainement le majeur et une battue rapide dans un duo merveilleusement rendu, les deux voix étant bien plus proches dans leurs timbres que celles de leurs devancières chez Reyne. Le chœur s’empare également de ce procédé, dont le roi était friand (Lalande s’en souviendra avec à-propos dans son Concert de trompettes) pour laisser finir l’orchestre dans un air endiablé permettant aux instruments de faire montre de virtuosité sur le plan de la dynamique.

D’un niveau peut-être encore supérieur, la partition de George Dandin sous-titrée Le Grand Divertissement Royal de Versailles, rassemble des intermèdes, écrits avec un très grand soin, donnant lieu à des pages d’une très grande beauté. L’ouverture, particulièrement heureuse, baignant dans un fa majeur radieux, se révèle d’une concision redoutablement efficace, enchaînant au grave initial un fugato d’une grande élégance et marqué par un mouvement ascendant qui semble accompagner le lever de rideau de la comédie de Molière. L’air des bergers qui lui succède fait alterner une même mélodie, traitée à 5 parties pour les violons puis en trio pour les flûtes, allégeant ainsi la texture et variant les couleurs avec grâce. Le délicieux duo de Climène et Cloris est écrit dans le style des brunettes avec un charme ineffable : Caroline Arnaud et Virginie Thomas y mêlent leurs voix avec un bonheur irrésistible pour deux couplets absolument ravissants. La scène qui suit fait partie des pages qui nous étaient déjà connues par d’anciens enregistrements. Elle est organisée autour d’un double dialogue particulièrement original, marqué par une grande maîtrise du récitatif et de courts airs, formule typiquement lullyste. François-Olivier Jean (Tirsis) et David Witczak (Philène) y jouent les amoureux éconduits sans l’exagération comique qu’on trouvait chez Minkowski, et c’est tant mieux. En miroir de la Plainte d’Iris rencontrée plus haut, celle de Cloris constitue une page qui compte parmi les plus belles de tout Lully. Si Agnès Mellon en avait donné une version inoubliable par l’intensité des émotions qui s’en dégageait, celle de Virginie Thomas ne lui cède en rien, magnifiée par un écrin instrumental autrement opulent avec l’assise d’un riche continuo (les excellents Robin Pharo, Antoine Touche, Alejandro Perez Marin, Étienne Galletier et Loris Barrucand y déploient tous leurs talents). Avec ses marches harmoniques descendantes, ses dissonances, cette page splendide ne renie pas ses références italiennes.

A contrario, l’intermède du IIIe acte s’ouvre par un rondeau très français en sol mineur à trois temps auquel s’enchaîne un air sérieux paré d’un double aux ornementations des plus subtiles (Ici l’ombre des ormeaux puis Les zéphyrs entre ces eaux) dans lequel Virginie Thomas fait à nouveau merveille. Puis, une grave ritournelle (une sorte de sarabande) marquée par l’ampleur de sa riche texture à cinq vient nous plonger dans un véritable songe. L’air de Climène (Ah qu’il est doux, belle Sylvie) nous envoûte véritablement, Caroline Arnaud s’y montrant absolument divine ! Après un court duo des deux bergers, le chœur célèbre l’Amour et son pouvoir adorable avant qu’un suivant de Bacchus ne vienne lui contester sa suprématie.

Véritable apothéose, le final adopte la forme d’un grandiose double chœur opposant partisans de l’Amour à ceux du Dieu du vin qui se réconcilient sur de magnifiques jeux d’échos tant vocaux qu’instrumentaux. Solidement architecturée, cette page montre combien Lully maîtrise comme aucun autre compositeur d’alors les pages de grande ampleur. Aussi les moyens réunis ici permettent-ils à cette musique royale de s’épanouir de manière pleinement convaincante. Gaétan Jarry démontre à nouveau qu’il est chez lui ici, servant Lully avec un amour qui éclate à chaque détour de ces partitions. Puisse-t-il poursuivre sa route avec ses merveilleux chanteurs et musiciens pour d’autres projets ! Relevons que Le Temple de la Paix, magistral ballet de la maturité du compositeur attend toujours sa résurrection. Alors rêvons et espérons !



Publié le 13 nov. 2020 par Stefan Wandriesse