Etienne Richard - Armengaud

Etienne Richard - Armengaud ©Gravure rehaussée à la gouache du carroussel de 1662 - Israël Sylvestre et Jacques Bailly
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Leçon de clavecin pour Louis XIV

Figurant sur la pochette comme sur le CD, les magnifiques gravures d’Israël Sylvestre rehaussées de gouache par Jacques Bailly relatives au fastueux carrousel de 1662 ne doivent guère nous illusionner : point de trompettes, ni de timbales ici ! Et si certains ont décidé d’aborder la façade officielle de Louis XIV (voir le récent opus de l’Ensemble Marguerite Louise), d’autres nous invitent a contrario à découvrir son jardin secret. Ainsi Thibaut Roussel et ses musiciens nous conviaient, il y a peu, au coucher du Roi. L’excellent Fabien Armengaud, dont nous conservons intact le magnifique souvenir de l’album Silentium avec son Ensemble Sébastien de Brossard (voir notre chronique) s’inscrit, lui aussi, dans cette approche musicale de l’intimité royale, pour un bien bel opus consacré à son instrument : le clavecin.

Si l’on sait le goût affirmé de Louis XIV pour la guitare, dont il jouait fort bien dit-on, on sait un peu moins qu’il reçut également des leçons de clavecin d’un certain Étienne Richard, personnage fort énigmatique, au patronyme fort courant. De ce fait, les pièces conservées sous ce nom sont nimbées de mystère quant à leur attribution. L’extraordinaire album de Brice Sailly, paru récemment s’alimentait, lui aussi, de questions de paternité non résolues pour la famille Couperin. C’est en effet à nouveau le manuscrit Bauyn qui fournit la matière de ce qui nous est donné ici à entendre, ajoutant aux quelques rares pièces du Sieur Richard, celles de ses contemporains : Joseph Chabanceau de La Barre, Jacques Hardel (disciple de Chambonnières), Louis Couperin, Jean-Henry d’Anglebert, Luigi Rossi, Jacques Thomelin (successeur de Richard à la tribune de St Jacques de la boucherie et maître du jeune François Couperin), Henry Du Mont, René Mézengeau, Germain Pinel, Nicolas ou Emery Monnard et même Marin Marais (qui tranche un peu stylistiquement, il est vrai, avec La Polonnaise, roborative pièce de viole transcrite pour le clavecin en 1707). Ce n’est pas là l’un des moindres mérites de cet album que nous révéler, outre les pièces de Richard, celles de ses confrères, hélas fort négligés la plupart du temps.

Inspiré des clavecins du facteur toulousain Vincent Tibaut, l’instrument réalisé par Alain Anselm en 2014 sonne magnifiquement sous les doigts de Fabien Armengaud qui a constitué des suites de différentes tonalités (deux en ré mineur, une en la mineur, une en sol majeur - et non mineur comme l’indique le livret-, l’autre en sol mineur et enfin une en ut majeur), mêlant adroitement les pages des compositeurs mentionnés ci-dessus. Toutes sont abordées au travers d’un savoureux tempérament mésotonique parfaitement idoine pour ce répertoire. Si la gravité, teintée d’une certaine austérité, qui imprègne nombre de pièces ne prédispose guère à des démonstrations de virtuosité digitale, le double échevelé, signé de Louis Couperin suivant la gavotte de Hardel ou la flamboyante passacaille du premier qui vient clôturer cet album ne laissent guère de doute sur l’habileté de notre claveciniste.

Il bien difficile de découvrir le caractère d’Étienne Richard, en dépit d’une certaine originalité comme celle propre à cet étrange prélude qui ouvre l’album. Fragmentée en petits épisodes, cette page étonne et n’a rien à voir avec les Préludes non mesurés d’un Louis Couperin par exemple. Le contrepoint y règne alternant passages à quatre et trois temps. Si celui de la suite en la mineur peut évoquer un instant l’improvisation dans sa première mesure, par ses accords arpégés, cette impression se dissipe aussitôt devant une page en fait très écrite, évoquant aussi bien l’instrument liturgique que le répertoire pour ensemble de violes. Les allemandes font montre des mêmes qualités. Et si l’on peut légitimement se demander quelle fut la pédagogie de Richard vis-à-vis de son roi, sans pour autant en connaître la réponse, on peut au moins avancer que le professeur sensibilisa son royal élève à apprécier la polyphonie, à envisager la conduite des voix (son métier d’organiste transparaît page après page). Il développa aussi sans nul doute son oreille et son écoute intérieure. La découverte d’un tel maillon dans l’éducation musicale du monarque est très éclairant eu égard aux choix, ô combien judicieux et éclairés, dont fit preuve par la suite toute sa vie durant Louis XIV dans le recrutement de ses musiciens. Il apparaît évident que cette approche pratique ne put que le préparer à apprécier dans le détail les œuvres écrites pour sa chapelle par exemple.

Mais ce maître, comme ses confrères, sut également l’éveiller à la beauté des harmonies. En témoignent ici de magnifiques sarabandes où les graves de l’instrument s’épanouissent tout en laissant le charme mélodique opérer (telle est celle, merveilleuse, de Chabanceau de La Barre ou celle de la suite en la mineur de Richard d’une simplicité désarmante ou encore celle en sol majeur d’une tendresse ineffable). Le roi joua-t-il ces pièces pour exprimer ses sentiments à quelques intimes, lui qui était d’un naturel réservé ? Aucun témoignage ne vient apporter de réponse. Mais une fois encore, force est de constater que Richard chercha à lui transmettre les ressorts de différents caractères par ses pièces, où la noblesse le dispute à la mélancolie, la tendresse à une joie plus extravertie.

En bien des endroits, Fabien Armengaud sait en outre adjoindre des reprises ornées d’un goût exquis. Son jeu a mûri et a gagné en ampleur depuis son album consacré à Louis-Antoine Dornel avec son Concert Calotin, qui comprenait quelques belles pièces de clavecin du maître de musique de l’Académie française. Sachons gré à Fabien Armengaud de faire montre d’originalité dans ses choix, là où d’autres semblent se complaire à réenregistrer les mêmes pièces. Voilà qui s’avère on ne peut plus prometteur, étant donné sa nomination à la tête de la maîtrise du Centre de Musique Baroque de Versailles, ce qui nous réjouit grandement.

Les amateurs de clavecin français seront donc comblés : cette exploration du Manuscrit Bauyn paraît presque simultanément en contrepoint de celle, splendide, parue chez Ricercar, et ce, quasiment sans doublon, si ce n’est la somptueuse passacaille en ut majeur, véritable sommet de la littérature pour le clavecin et dont les partis-pris interprétatifs diffèrent sensiblement (tempo, caractère, sans omettre les couleurs de l’instrument). Au cours d’une grande heure de musique, nous voilà donc plongés dans l’univers d’une chambre raffinée, pour goûter avec plaisir une leçon qu’on se gardera bien d’oublier !



Publié le 03 avr. 2021 par Stefan Wandriesse