Enfers - Pichon
©Igor Studio Afficher les détails Masquer les détails Coffret avec livret bilingue (français-anglais), un CD, durée totale : 78 minutes, 29 secondes. Harmonia Mundi - 2018
Compositeurs
- Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
- Christoph Willibald von Gluck (1714- 1787)
- Jean-Féry Rébel (1666-1747)
Chanteurs/Interprètes
- Stéphane Degout (basse taille)
- Emmanuelle de Negri (dessus)
- Stanislas de Barbeyrac (taille)
- Reinoud Van Mechelen (haute-contre)
- Sylvie Brunet-Grupposo (bas-dessus)
- Nicolas Courjal (basse)
- Thomas Dolié (basse-taille)
- Mathias Vidal (taille)
- Choeur Pygmalion :
- Dessus : Caroline Arnaud, Ulrike Barth, Adèle Carlier, Alice Foccroulle, Armelle Froeliger, Nadia Lavoyer, Marie Planinsek, Virginie Thomas
- Haute-contre : Patrick Boileau, Stephen Collardelle, Constantin Goubet, Guilaume Gutiérrez
- Tailles : Didier Chassaing, Vincent Laloy, Olivier Rault, Randol Rodriguez
- Basses : Virgile Ancely, Renault Brès, Jean-Michel Durang, Geoffroy Heurard, Guillaume Olry
- Orchestre Pygmalion :
- Premiers violons : Louis Creac'h, Sandrine Dupé, Yoko Kawakubo, Yuki Koike, Satomi Watanabe
- Seconds violons : Varoujan Doneyan, Cyrielle Eberhardt, Gabriel Ferry, Katherine Goodbehere, Fiona-Emilie Poupard
- Altos : Jérôme van Waerbeke, Josèphe Cottet, Marta Paramo, Pierre Vallet
- Violoncelles : Antoine Touche*, Julien Barre*, Gulrim Choi, Cyril Poulet*
- Viole de gambe : Myriam Rignol
- Contrebasses : Thomas de Pierrefeu*, Christian Staude
- Trompettes : Emmanuel Mure, Philippe Genestier
- Bassons : Evolène Kiener, Inga Klaucke, Josep Casadella, Emmanuel Vigneron
- Hautbois : Jasu Moisio, Lidewei de Sterck
- Flûtes : Georgia Browne, Anne Thivierge
- Cors : Pierre-Antoine Tremblay, Ricardo Rodriguez
- Sacqueboutes : Clément Carpentier, Stefan Legée, Franck Poitrineau
- Timbales et percussions : Sylvain Fabre
- Clavecin et pianoforte : Arnaud de Pasquale*
- Clavecin et orgue : Pierre Gallon*
- * : continuo
- Direction : Raphaël Pichon
Pistes
- 1.Introït - Jean-Philippe Rameau : Ah ! Nos fureurs ne sont point vaines (Zoroastre)
- 2.Jean-Féry Rebel : Chaos (Les Élémens)
- 3.Jean-Philippe Rameau : Voici les tristes lieux. Monstre affreux (Dardanus)
- 4.Anonyme : Requiem æternam (Messe de Requiem sur des thèmes de Castor et Pollux)
- 5.Christoph Willibald von Gluck : Dieux ! Protecteurs de ces affreux rivages (Iphigénie en Tauride)
- 6.Kyrie - Anonyme : Kyrie eleison (Messe de Requiem sur des thèmes de Castor et Pollux)
- 7.Jean-Philippe Rameau : Dieux ! Que d'infortunés gémissent en ces lieux ! (Hippolyte et Aricie)
- 8.Jean-Philippe Rameau : Loure (Les Surprises de l'Amour)
- 9.Graduel - Christoph Willibald von Gluck : Nous ne trouvons partout que des gouffres ouverts (Armide)
- 10.Anonyme : Domine Jesu Christe (Messe de Requiem sur des thèmes de Castor et Pollux)
- 11.Christoph Willibald von Gluck : Sinfonie infernale. Air de furie (Orphée et Eurydice)
- 12.Séquence - Jean-Philippe Rameau : Épuisons le flanc des tristes victimes - Ministres, redoutés du plus puissant empire (Zoroastre)
- 13.Jean-Philippe Rameau : Air grave pour les Esprits infernaux (Zoroastre)
- 14.Jean-Philippe Rameau : Quel bonheur ! L'Enfer nous seconde (Zoroastre)
- 15.Christoph Willibald von Gluck : Danse des Furies (Orphée et Eurydice)
- 16.Jean-Philippe Rameau : Vous, qui de l'avenir percez la nuit profonde - Quelle soudaine horreur (Hippolyte et Aricie)
- 17.Offertoire - Jean-Philippe Rameau : Qu'ai-je appris ? Puissant maître des flots (Hippolyte et Aricie)
- 18.Anonyme : Hostias et preces tibi (Messe de Requiem sur des thèmes de Castor et Pollux)
- 19.Jean-Philippe Rameau : Quelle plainte en ces lieux m'appelle ? (Hippolyte et Aricie)
- 20.Jean-Philippe Rameau : Je ne te verrai plus ! (Hippolyte et Aricie)
- 21.Communion & In Paradisium - Christoph Willibald von Gluck : Ballet des Ombres heureuses (Orphée et Eurydice)
- 22.Anonyme : Requiem æternam (Messe de Requiem sur des thèmes de Castor et Pollux)
- 23.Jean-Phiippe Rameau : Entrée de Polymnie (Les Boréades)
Visite guidée des ténèbres à la lumièreLa musique de Jean-Philippe Rameau (1683-1764) est décidément d'une telle qualité qu'elle se prête à toutes les facéties. Il y a quelques semaines nous avions écouté avec une vraie joie l'enregistrement de Louis-Noël Bestion de Camboulas, Yves Rechsteiner et l'Ensemble Les Surprises (pour le label Ambronay), qui arrangeaient quelques suites de Rameau en concertos pour orgue (notre compte-rendu : L’héritage de Rameau). Il faut également rappeler qu'en 2005 déjà, Marc Minkowski et Les Musiciens du Louvre (chez Archiv Production) innovaient en nous proposant un arrangement de suites de Tragédies de Rameau en Une Symphonie Imaginaire. Et voici que vient de paraître chez Harmonia Mundi, un extraordinaire « medley » d'airs de Rameau, agrémentés d'extraits de compositions de Christoph Willibald von Gluck (1714- 1787) et Jean-Féry Rébel (1666-1747), le tout organisé en un Requiem Imaginaire interprété par Stéphane Degout et l'Ensemble Pygmalion, sous la houlette de Raphaël Pichon. Par leurs choix, les deux musiciens rendent un hommage à Henri Larrivée (1737-1802), tragédien et créateur de nombreux rôles dans les Tragédies de Rameau.
Bien sûr, Rameau n'a pas écrit de Requiem, mais dans l'histoire de la musique, d'autres compositeurs d'opéras ont osé ce grand écart, tel par exemple Verdi au XIXème siècle, dont on sait que le Requiem se voit souvent reprocher qu'il ressemble trop à de l'opéra. Alors, pourquoi ne pas essayer de réaliser l'opération « à l'envers » pour notre Rameau national en proposant, à partir d'extraits savamment choisis, une « reconstitution/création ». La démarche est d'autant plus légitime, qu'à cette époque, sacré et profane se mélangent allègrement comme par exemple chez Haendel dont la différence entre opéra et oratorio est par moment très ténue ou encore la pertinence des représentations théâtrales que l'on réalise, de plus en plus souvent, sur les Passions de Bach. Ou enfin le concert hommage, proposé le 27 septembre 1764 (soit quinze jours après les funérailles de Rameau) à L'Oratoire de la rue Saint Honoré, par pas moins de 180 musiciens de l'Opéra et de la Chapelle Royale, donnant le Requiem de Jean Gilles (1668-1705), réorchestré pour l'occasion, en incluant des extraits de Castor et Pollux ainsi que de Dardanus (enregistré par Skip Sempé et son ensemble Capriccio Stravagante pour le label Paradizio en 2014).
Raphaël Pichon à la tête de son ensemble Pygmalion et Stéphane Degout (basse-taille), se sont attelés à cette reconstitution/création, avec tout le respect dû à Rameau, et nous proposent un ensemble d'une grande cohérence, aussi bien technique que vocale mais également interprétative. On notera que Raphaël Pichon et son ensemble, commencent à imposer dans leurs divers enregistrements une empreinte, une pâte, dans leur façon originale de composer leurs programmes : que l'on se rappelle de Stravaganza d’Amore ! (lire la chronique de notre confrère Michel Boesch), ou encore des Filles du Rhin (tous chez Harmonia Mundi).
Les airs choisis dans ce CD proviennent de tragédies de Rameau (Zoroastre, Dardanus, Hippolyte et Aricie, Les Boréades, Les surprises de l'Amour), Gluck (Armide, Iphigénie en Tauride, Orphée et Euridice), mais également de Rébel (Le chaos des Eléments) et du même compositeur dont le nom reste inconnu, qui a arrangé Castor et Pollux pour l'inclure dans le Requiem de Gilles. Tous ces airs sont organisés en un « pseudo Requiem » : Introït, Kyrie, Graduel, Séquence, Offertoire, , pour un total de 23 numéros, dont seulement 7 sont exclusivement instrumentaux.
« Des ténèbres à la lumière », le parcours peut ainsi se résumer. Raphaël Pichon avec son orchestre ne s'économise pas, il soumet l'auditeur à toutes les émotions, embrase l'orchestre avec tempi fougueux et contrastés, bref la tragédie dans tous ses états !
Quelques airs sont de purs bijoux comme Voici les tristes lieux. Monstre affreux (Anténor, Dardanus, Rameau), plage 3, ou Dieux ! Protecteurs de ces affreux rivages (Oreste, Iphigénie en Tauride, Gluck) plage 5. Tour à tour vifs puis rageurs, ces airs nous montrent un Stéphane Degout, au somment de son art, comme transcendé. Avec, faut-il le préciser, un volume vocal hors du commun, une intensité constamment soutenue, une voix très homogène, un timbre à la fois sombre et éclatant et par-dessus tout une diction parfaite.
Pour certains airs, d'autres solistes ont été invités qui font eux aussi corps avec ce programme, ainsi l'air de Phèdre : Quelle plainte en ces lieux m'appelle, déclamée par Sylvie Brunet-Grupposo (plage 19), ou les deux airs de Zoroastre où Stéphane Degout est rejoint par le dessus Emmanuelle de Negri (plage 12).
L'ensemble Pygmalion, survolté par son chef Raphaël Pichon n'est pas en reste. Bouillonnant mais parfaitement discipliné, peut-être un peu trop uniformément rapide, mais les solistes suivent avec aisance. La danse des Furies (Orphée et Euridice, Gluck) plage 15, ou Le chaos (Les Eléments, Rebel) plage 2 en sont les exemples les plus flagrants. L'interprétation, par moment, tend avec bonheur vers un certain expressionnisme qui peut surprendre dans ce registre.
En conclusion, un enregistrement très convaincant et dramatique à souhait, avec des interprètes au sommet de leur art. Aucune négligence. Seul bémol à notre sens la captation (évidemment dans une église) ajoute de façon un peu trop persistante un son embrumé et souvent tournoyant, fréquemment néfaste pour le chœur et plus généralement pour la compréhension du texte.
On attend, avec envie, la prochaine proposition musicale de Raphaël Pichon !
Publié le 30 avr. 2018 par Robert Sabatier