Pièces de viole - Couperin

Pièces de viole - Couperin ©Jean-Baptiste Millot
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Une interprétation au sommet

Si les pièces de viole de François Couperin (1668-1733) dit « Le Grand », sont une montagne escarpée, techniquement surtout, les enregistrer relève de l'ascension de l'Everest. C'est ainsi que le récent enregistrement, paru chez le label Apparté, d’Atsushi Sakaï (gambe), accompagné de Christophe Rousset (clavecin), Marion Martineau (gambe) et Isabelle Saint-Yves (gambe) se hisse au sommet de la discographie, pourtant déjà bien fournie.

En effet, de Jordi Savall (chez Astrée en 1976, puis Alia-Vox) à Philippe Pierlo (Mirare, 2007) en passant par Paolo Pandolfo (Glossa 2012) et Wieland Kuijken (Accent 1992), pour n'en citer que les interprètes majeurs, l'amateur est déjà comblé. Mais l'arrivée de l'enregistrement d'Atsushi Sakaï, remet tout en cause, aussi bien pour la virtuosité instrumentale que pour la profondeur du chant, sans oublier le panache et l'élégance des phrasés.

Composées en 1728, et citées par le Mercure de France en 1729, ces Pièces de viole avec basse chiffrée par Mr. F.C., n'ont été que très tardivement attribuées à François Couperin par Charles Bouvet au début du XXème siècle ! Bien sûr, Couperin avait déjà composé pour la viole auparavant (Les Goûts Réunis - 10ème, 12ème et 13ème Concerts), mais il ne l'utilisait pas autant que ses contemporains Marin Marais (1656-1728), Louis Caix d'Hervelois (1677-1759), Antoine Forqueray (1672-1745) ou même son oncle Louis Couperin (1626-1661). Il est ainsi bien étrange que Couperin Le Grand ait écrit ces deux Suites dans les dernières années de sa vie, mais elles font partie de ses chefs-d'œuvre incontournables et certains commentateurs considèrent même la Seconde Suite comme son testament musical.

Ces deux Suites sont composées pour gambes à sept cordes (celle de Jean de Sainte Colombe ou de Marin Marais), et les trois gambistes de ce CD utilisent des copies de Basses de violes, datées de 1687 et 1693. Du point de vue de la structure, une Basse Chiffrée (clavecin et deuxième viole, interprétés respectivement par Christophe Rousset et Marion Martineau) accompagne une viole, appelée ici Sujet, jouée par Atsushi Sakaï.

La Première Suite, en mi mineur, composée de sept mouvements de danses habituels, semble plus traditionnelle que la Seconde Suite, en la majeur, qui n'en comprend que quatre et, en ce sens, ressemble plus à une sonate italienne. A la suite des six premiers mouvements, pleins de variété, d'allant, de couleurs, on retiendra la Chaconne (ou Passacaille) finale. Doubles cordes lumineuses, dont la difficulté technique s'efface comme par enchantement, accompagnement somptueux au clavecin (Christophe Rousset est l'un des interprètes majeurs du clavecin de Couperin), dialogue d'une beauté extrême qui nous rapproche de Bach (par exemple de ses Trois sonates pour clavecin et viole de gambe, mais dans une toute autre forme). Un des plus beaux moments de cet enregistrement.

Le Seconde Suite possède des titres très énigmatiques (comme souvent chez Couperin et ses Ordres pour Clavecin) comme Pompe Funèbre et La Chemise Blanche. Contrairement à ce que leurs titres pourraient suggérer et à la coutume de l’époque, ces deux derniers mouvements ne sont ni Lamentation ni un Tombeau, mais des pièces d'une noblesse rare, intimes (dont Couperin a le secret) et même presque de jubilation pour La Chemise Blanche (un fantôme gai !). Les interprètes, pour ces deux mouvements sont au sommet de leur art, ils donnent l'impression de ralentir le temps musical, toujours avec cette justesse instrumentale qui les caractérise.

En complément de programme trois compositions sont proposées. La plainte pour les violes ou autres instruments à l'unisson (troisième partie du Dixième Concert des Goûts réunis de 1724 de Couperin), permet d’apprécier la délicatesse et l'entente musicale des trois musiciens. Les deux dernières pièces sont d’Antoine Forqueray (après le précédent triple CD chez le même label, de l'intégrale des Cinq suites pour viole). Dans une pièce à trois violes en ré mineur (ensemble assez rare à l'époque), Isabelle Saint-Yves, se joint à l'ensemble. Dans cette pièce en trois mouvements (Allemande, Courante, Sarabande), rarement enregistrée, les violes se mêlent, s'entrecroisent dans de magnifiques airs. Pour terminer, La Girouette, avec retour aux trois instrumentistes initiaux, est extraite d'un recueil collectif et n'apporte rien de particulier, si ce n'est d'écouter un rondeau attrayant.

Le lieu d'enregistrement, la Galerie dorée de la Banque de France, dont l’acoustique est limpide et claire, semble avoir été très inspirant pour les interprètes. Ce n’est pas surprenant car l'histoire veut, que Couperin donnait, en ces lieux même, des leçons de musique au comte de Toulouse !

A ne manquer sous aucun prétexte !



Publié le 01 avr. 2018 par Robert Sabatier