Le Coucher du Roi - Roussel
© Afficher les détails Masquer les détails Coffret avec notices trilingues (français-anglais-allemand) de Thibaut Roussel et Thomas Leconte, un CD, durée totale : 74 minutes, un DVD bonus (59 minutes). Château de Versailles Spectacles - 2020
Compositeurs
- Le Coucher du Roi - Musiques pour la chambre de Louis XIV
- Michel-Richard de Lalande (1657-1726) : Prélude
- Grande Pièce Royale
- Étienne Lemoyne (ca 1640-1715) : Prélude
- Michel Lambert (1610-1696) (attr.) : Sombres déserts (Ier Livre d’Airs de différents auteurs, 1659)
- Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : Plainte d’Atys (Atys, acte V, sc. 7, Entrée des Nymphes)
- Jean-Baptiste Lully - Anne Danican Philidor (1681-1728) : Suite en G ré Sol - Symphonie du Sommeil d’Atis (Lully, Atys, acte III, sc. 4)
- Trio Beaux yeux (Lully, Atys, acte III, sc. 4, Dormons, dormons tous)
- Trianon (Lully, Alceste, 1674, prol., Air pour les divinités des Fleuves)
- Entrée de Borée (Lully, Le Triomphe de l’Amour, 1681, VIIe entrée, Air pour l’entrée de Borée et des quatre Vents
- Entrée d’Orithie (Lully, Le Triomphe de l’Amour, 1681, VIIIe entrée, Gavotte pour Orithie et ses Nymphes)
- Trio d’Anne Philidor
- Canaries de Mr de Lully (Lully, Ballet des Muses, 1666, VIe entrée)
- Robert de Visée (ca 1650-1665-après 1732) : La Mutine. Allemande gaye
- Sébastien Le Camus (ca 1610-1677) : Ah ! Qui peut tranquillement attendre (XIe Livre d’Airs de différents auteurs, 1668)
- Robert de Visée : La Conversation (Ms. Vaudry de Saizenay, 1699)
- Michel Lambert : Dialogue de Marc-Antoine et de Cléopâtre - Ballet des Amours déguisés, 1664, IIe entrée (Lambert, Airs à une, II, III & IV parties avec la basse continue, Paris, 1689)
- Robert de Visée : Prélude (Ms. Vaudry de Saizenay, 1699)
- Michel de La Barre (ca 1675-1745) : Plainte (La Barre, Pièces en trio pour les violons, flûtes et hautbois, Paris, 1694, 2de éd. 1707)
- Jean-Baptiste Lully (arr. R. de Visée) : Chaconne des Harlequins ([Lully, Le Bourgeois gentilhomme, 1670, Ballet des Nations)
- Marin Marais (1656-1728) : Gigue
- Rigaudon
- Bransle de Village
- Robert de Visée : Passacaille (Visée, Livre de pièces pour la guittare, dédié au Roy, Paris, 1686)
- Sébastien Le Camus : Laissez durer la nuit (Le Camus, Airs à deux et trois parties, Paris, 1678)
- François Couperin (1668-1733) : Le Dodo ou L’Amour au Berceau, pièce croisée (Couperin, Troisième livre de pièces de clavecin, Paris, 1722, XVe ordre)
Chanteurs/Interprètes
- Danaé Monnié (dessus)
- Marc Mauillon (basse-taille)
- Josèphe Cottet, violon (violon d’Aymeric Guillard, 2015)
- Yoko Kawakubo, violon (violon de Pierre Jaquier, 1997)
- Thomas Leconte, flûte allemande (flûte Jean-Jacques Malzer, 1999, d’après Jean-Hyacinthe Rottenburgh - Bruxelles ca 1725)
- Valérie Balssa, flûte allemande (flûte Alain Weemaels, d’après Jean-Hyacinthe Rottenburgh - Bruxelles ca 1725)
- Myriam Rignol, dessus et basse de viole (dessus de viole de Tilman Muthesius – 2014, d’après Colichon ; basse de viole de Stephan Schürch – 2006, d’après Colichon)
- Mathilde Vialle, dessus et basse de viole (dessus de viole de Jean-Paul Boury ; basse de viole de Marcello Ardizone - 2005)
- Julie Dessaint, basse de viole (basse de viole de Jean-Paul Boury, 2010)
- Sébastien Daucé, clavecin (clavecin historique de Joannes Ruckers - Anvers, 1628, ravalé en 1706 par Nicolas Blanchet. Fonds du Château de Versailles. Diapason 400hz, tempérament Sauveur au 1/5e de comma synthonique)
- Romain Falik, théorbe et guitare (luth théorbé de Cezar Mateus, 2016)
- Thibaut Roussel, théorbe, guitare et direction (théorbe de Maurice Ottiger – 2010, d’après Tieffenbrucker ; théorbe de pièce de Maurice Ottiger - 2018, d’après Sellas ; guitare baroque de Stephen Murphy – 1994, d’après Stradivari ; guitare baroque de Félix Lienhard – 2018, d’après Voboam)
Pistes
- 1.Michel-Richard de Lalande : Prélude (Myriam Rignol, Mathilde Vialle, Julie Dessaint)
- 2.Grande Pièce Royale (tutti)
- 3.Étienne Lemoyne : Prélude (Myriam Rignol)
- 4.Michel Lambert : Sombres déserts (Marc Mauillon, Myriam Rignol, Mathilde Vialle, Thibaut Roussel)
- 5.Jean-Baptiste Lully : Plainte d’Atys (Thibaut Roussel)
- 6.Jean-Baptiste Lully - Anne Danican Philidor (1681-1728) : Suite en G ré Sol - Symphonie du Sommeil d’Atis
- 7.Trio Beaux yeux
- 8.Trianon
- 9.Entrée de Borée
- 10.Entrée d’Orithie
- 11.Trio d’Anne Philidor
- 12.Canaries de Mr de Lully
- 13.Robert de Visée : La Mutine. Allemande gaye (Thibaut Roussel, Romain Falik)
- 14.Sébastien Le Camus : Ah ! Qui peut tranquillement attendre (Danaé Monnié, Mathilde Vialle, Thibaut Roussel)
- 15.Robert de Visée : La Conversation (Thibaut Roussel)
- 16.Michel Lambert : Dialogue de Marc-Antoine et de Cléopâtre (Marc Mauillon, Danaé Monnié, Josèphe Cottet, Yoko Kawakubo, Mathilde Vialle, Myriam Rignol, Romain Falik, Thibaut Roussel)
- 17.Robert de Visée : Prélude (Thibaut Roussel)
- 18.Michel de La Barre : Plainte (Thomas Leconte, Valérie Balssa, Mathilde Vialle, Thibaut Roussel)
- 19.Jean-Baptiste Lully : Chaconne des Harlequins (Thibaut Roussel)
- 20.Marin Marais : Gigue
- 21.Rigaudon
- 22.Bransle de Village
- 23.Robert de Visée : Passacaille (Thibaut Roussel)
- 24.Sébastien Le Camus : Laissez durer la nuit (Danaé Monnié, Mathilde Vialle, Thibaut Roussel, Myriam Rignol)
- 25.François Couperin : Le Dodo ou L’Amour au Berceau, pièce croisée (Mathilde Vialle, Myriam Rignol)
Louis XIV et MorphéeAu cérémonial très codifié du grand coucher du roi succédait celui du petit coucher caractérisé par une intimité bien plus grande et faisant place à la musique. Morceaux favoris du monarque, pièces rêveuses y étaient données par la « garde » musicale rapprochée de Louis XIV. On connaît d’ailleurs à ce titre, pour n’en citer que quelques exemples, les Suites pour les couchers de Roy de Marin Marais dont le Ricercar Consort de Philippe Pierlot a donné une version incontournable. De même, les pièces de Robert de Visée ont fait l’objet de plusieurs enregistrements de Manuel Staropoli et Massimo Marchese.
Mais ici, les excellents Thibaut Roussel et Thomas Leconte ont rassemblé un programme de toute beauté, piochant dans divers répertoires, envisagés de nos jours comme des ensembles homogènes, alors que l’usage de l’époque était justement de les juxtaposer au gré des souhaits du roi et des disponibilités du service. Fort intelligemment conçue, cette heure de musique réunit aussi bien des pièces solistes, des trios, des airs sérieux que des adaptations instrumentales de pièces vocales, tirées notamment de ballets ou de tragédies en musique, variant ainsi les éclairages et les ambiances, en s’acheminant doucement vers le sommeil. S’il y a peu de découvertes parmi les pièces, leur mise en perspective confère à ce projet une indéniable originalité, magnifiée par une réalisation qui n’appelle que des éloges. De surcroît, le DVD bonus filmant certaines d’entre-elles et en ajoutant de nouvelles (Antoine Dornel et Jacques Hotteterre par exemple) ou mobilisant d’autres chanteurs (les remarquables Eugénie Lefebvre et Étienne Bazola), ne fait guère double emploi. Magnifiquement filmé (on notera une fois de plus l’excellence de la réalisation d’Olivier Simmonet) dans le cadre somptueux du Grand Appartement, le concert témoigne de l’osmose parfaite entre la musique et les lieux pour lesquels celle-ci a été conçue. Couleurs instrumentales et vocales répondent en miroir à celles du décor, l’éclat des ors s’atténue peu à peu, les ombres parent les balustres, tapisseries, cheminées et ornements de leurs voiles assombris, les chandelles s’éteignent et aux sons, qui s’évanouissent dans l’air, dansent les restes de fumée, dans un dialogue de volutes et d’arabesques.
Il convient de noter combien la relecture de certaines pièces nous permet de revisiter celles-ci. Ainsi, la Grande Pièce Royale « que le Roy demandait souvent » à son surintendant Michel-Richard de Lalande est donnée ici dans une version plus chambriste qu’à l’accoutumée. Aux couleurs orchestrales auxquelles nous sommes habitués se substitue ici la douceur des flûtes allemandes (magnifiques sonorités rondes et chaudes de Valérie Balssa et Thomas Leconte) au lieu des hautbois que l’on entend plus souvent. Mais rien ne manque ici, la gravité de la passacaille initiale débouche sur un fugato très serré plein de virtuosité. De même, le magnifique solo de basson lors du passage en majeur cède la place ici au chant de la viole, ce qui nous vaut un savoureux dialogue avec le violon de Josèphe Cottet dont les agréments improvisés nous attendrissent.
Atys, surnommé alors « l’Opéra du Roy », ne pouvait manquer ici à l’appel, d’autant plus que son Sommeil en constitue sans doute le point culminant. Cette pièce, à juste titre fameuse, l’une des plus admirables de Lully, toute empreinte de la gravité de son sol mineur, déroule les ondulations conjointes de ses cordes qui dialoguent avec les flûtes, générant d’envoûtants retards qui nous hypnotisent imperceptiblement. Le traitement réservé au trio vocal réunissant Morphée, Phantase et Phobétor voit ces personnages remplacés à dessein par les violes (relevons à ce titre la beauté de ce pupitre avec Myriam Rignol, Mathilde Vialle et Julie Dessaint !). L’adaptation est parfaitement réussie. Il en est de même pour les pages extraites d’Alceste, du Triomphe de l’Amour ou du Ballet des Muses dont les irrésistibles Canaries vous donneront envie de danser.
L’univers des pièces en trios est brossé de façon allusive par des compositions de Philidor, Marais ou La Barre, dont la plainte contraste avec les danses pleines de rusticité de l’illustre gambiste. Mais ce sont les pièces de Lemoyne et surtout de Visée pour théorbe et guitare qui retiennent l’attention. Il peut s’agir de pièces originales, parées de titres comme La Mutine ou La Conversation ou non comme l’entêtante passacaille du Livre de 1686). Relevons aussi les transcriptions livrées par des manuscrits d’époque, ce qui nous vaut une Chaconne des Harlequins bien connue mais surtout une Entrée des Nymphes (ici dénommée Plainte d’Atys) sonnant magnifiquement sous les doigts inspirés de Thibaut Roussel. Moelleux, gravité habitent ces pages qui devaient toucher tout particulièrement le monarque qui avait appris la guitare.
Les airs sérieux réunis ici sont signés des grands maîtres du genre : Michel Lambert et Sébastien Le Camus. Pour voix seule ou en dialogue (comme celui d’Antoine et Cléopâtre), ceux-ci explorent les tourments amoureux, poncifs du genre, cependant sublimés par les splendides textes signés de Jacqueline Pascal, d’Henriette de Coligny, comtesse de la Suze, d’Isaac de Benserade. Les Sombres déserts de Lambert prouvent une fois encore, s’il en était besoin, combien Marc Mauillon possède la voix idoine pour ce répertoire. Diction parfaite, beaux graves et aigus lumineux, émotion pleine de naturel, tout est mis ici au service de ces airs, témoignages raffinés de la « carte du tendre » de cette époque. Danaé Monnié nous offre, quant à elle, un Laissez durer la nuit confondant de beauté. Soutenue par l’écrin des violes et du théorbe, sa voix déploie une magnifique plainte quasi extatique. Le timbre est splendide, l’élocution admirable, au service du texte, nous invitant à « pleurer à la faveur des ombres ».
Ce petit coucher trouve son achèvement avec Le Dodo ou l’Amour au berceau de François Couperin. En miroir du grave prélude de Lalande qui ouvrait cette évocation, il s’agit d’une transcription à deux violes tout à fait judicieuse. En effet, dans ses fameux Concerts des Goûts réunis, le compositeur fait appel à ces deux instruments (Douzième concert à deux violes, ainsi que le treizième pour deux instruments à l’unisson qui réitère la formule). Ici, la pièce de clavecin originale sert de support à une berceuse ineffable d’une extrême douceur, encore accrue lors du passage en mineur. Morphée tend les bras à Louis XIV. Le roi s’endort. Quant à nous, nous restons bouche bée devant pareil enchantement.
Publié le 13 févr. 2021 par Stefan Wandriesse