Anima Aeterna - Orliński

Anima Aeterna - Orliński ©
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Les ombres et les couleurs de la musique baroque

« Les ombres et les couleurs propres à la musique sacrée de l'ère baroque touchent aujourd'hui encore nos âmes. Anima Aeterna signifie âme éternelle, ce qui, pour moi, équivaut à l'idée de nature...à quelque chose d'éminemment vital, sauvage et dangereux mais en même temps de fondamentalement calme, hypnotique et apaisant » (J.J. Orliński)

Le succès de Jakub Jósef Orliński, contre-ténor, commence en juillet 2017 durant la 70ᵉ édition du Festival d'Aix-en-Provence, où il interprète le rôle de d'Orimeno dans les représentations d'Erismena de Francesco Cavalli. Inoubliable son interprétation parfaite de Vedrò con mio diletto, extrait de l'opéra Giuditta de Vivaldi, pour une émission de France Musique. Sa chemise à carreaux, son short et ses sneakers, enfin ce style sportif, alors qu’il ne s'attendait pas à se produire devant un public et qu'une captation du vidéo serait faite, a contribué au succès de la vidéo sur You Tube.

Dans Anima Aeterna, ainsi que dans l'album d'airs précédents, Anima Sacra, le jeune contre-ténor confirme tous les espoirs suscités il y a quelques années. Beauté vocale, musicalité accomplie, énergie et enthousiasme sont au rendez-vous. Jakub Jósef Orliński partage avec Il Pomo d'Oro une passion pour l'exploration musicale et son nouvel album est conçu comme une suite, ou plutôt, selon les termes du musicologue Yannis François, un voyage parallèle à celui d’Anima Sacra. Avec eux nous découvrons l'influence italienne dans toute l'Europe, chaque pays et chaque compositeur offrant leur spécificité à ce tronc commun venu de Naples, Venise ou Rome.

Le Bohémien Jan Dismas Zelenska érigea Dresde en haut lieu européen de la musique et dans ce programme entièrement composé d’œuvres de la première moitié du XVIIIᵉ siècle, il se taille la part du lion avec deux motets : Barbara, dira, effer sur lequel s'ouvre le disque et Laetatus sum, soit plus de vingt-cinq minutes, près d'un tiers de la durée totale. Orliński est souverain dans ces pièces virtuoses et l'énergie que leur confère l'ensemble Il Pomo d'Oro, sous la direction de Francesco Corti, parfaitement convaincante, notamment dans le solo de trompette de l'extrait de l'oratorio David Trionfante de Bartolomeo Nucci (avant 1717-vers 1749). C'est la première pièce jamais enregistrée de ce compositeur, qui serait né à Pescia. Sa date de naissance est inconnue mais on le retrouve à Rome en 1717 avec son oratorio Il Figlio prodigo.

Le motet de Zelenska Laetatus sum permet d'entendre en solo ou en duo le très beau soprano égyptien Fatma Saȉd : une voix lumineuse et prenante, une diction qui rend chaque mot intelligible. Elle est dotée d'une voix très limpide, une souplesse et un tenu de note exceptionnel. Son chant est à la fois intelligent et sensible. On remarquera les longues notes tenues du Gloria à deux voix.

Entre les motets de Zelenka ou du napolitain Gennaro Manna (le tout aussi enthousiasmant Laudate pueri avec chœur, en avant-première mondiale) se glisse un air de l'oratorio Il Fonte della salute de Joseph Fux. Il fut maître de chapelle des Habsbourgs à Vienne et son oratorio unit la beauté du chant transalpin à une élégance toute impériale. Si Orliński est particulièrement convaincant dans les pièces à la vocalisation rapide, les passages plus lents et méditatifs, qui s'imposent dans tout programme équilibré, mettent en valeur la rondeur et la chaleur de son timbre. Ce dernier s'accorde particulièrement avec les tons mordorés du paridon (instrument de la famille des violes) qui accompagne le très bel air du Pécheur contrit de l'oratorio de Fux. Francisco Antỏnio de Almeida nous permet d'élargir le périple à toute l'Europe baroque.

Le disque se conclut sur une dernière note à peine susurrée, presque inaudible de l'Alleluia-Amen de Haendel.

Un programme qui séduit par sa variété et sa richesse et qui met en évidence l'interprétation de premier plan du jeune contre-ténor dont la palette musicale s'est enrichie de beaucoup plus de couleurs qu'il y a quelques années. Le timbre est rond, sensuel et chaleureux. La lecture semble s'affiner d'année en année.



Publié le 30 oct. 2021 par Véronique Du Moulin