Arias for Annibale Fabbri - Angioloni

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Un beau voyage dans l’Europe baroque

Cantonnés à des rôles comiques par le règne sans partage des castrats dans les débuts de l’opéra baroque, les ténors vont peu à peu gagner en épaisseur dramatique, notamment par l’opera seria qui leur réservera quelques très beaux personnages. Ténor et compositeur, Annibale Pio Fabri (cette orthographe, avec un seul b, étant la plus fréquemment usitée), dit Balino (diminutif d’Annibale) est l’un des plus célèbres ténors de l’époque et, avec John Beard et Francesco Borosini, un des acteurs majeurs de ce retour de la voix de ténor au premier plan.

Né à Bologne en 1697, il fut l’élève du castrat Francesco Pistocci. Après des débuts à Bologne en 1726 dans Alaric, re dei Gotti (Bassani), il interpréta des rôles écrits en grande partie pour lui par Vivaldi à Venise. Après avoir été produit dans les saisons de Rome, Naples et Florence, il gagne Londres en 1729, où Haendel l’engage pour deux saisons au cours desquelles il participera à la création de nombreux opéras. Protégé par Charles VI, il paraîtra également à Vienne dans des opéras de Caldara, à Madrid où il interprétera Hasse avant de finir sa brillante carrière à Lisbonne où il décédera en 1760.

Cette carrière internationale illustre bien la célébrité en son temps de l’artiste dont Mary Delany dira, en 1729, qu’il a une voix « douce, claire et ferme... il chante comme un gentleman, sans faire de grimaces, et sa manière est particulièrement agréable ; il est le plus grand maître de la musique qui ait jamais chanté sur scène ». C’est la carrière et l’itinéraire artistique de ce ténor star que nous propose de revivre Marco Angioloni et son ensemble Il Groviglio .

Fabri a coopéré de façon soutenue avec Vivaldi à Venise, interprétant plusieurs des opéras du Prêtre Roux. Notamment Arsilda, regina di Ponto dont trois extraits figurent dans cet enregistrement. Les qualités techniques de Marco Angioloni sont très efficaces dans le difficile La tiranna avversa sorte, dont la virtuosité sur un rythme andante est redoutable. Le récitatif qui suit met en évidence la diction posée et naturelle du ténor. Pour représenter cette période du début de la carrière de Fabri, l’enregistrement propose également deux extraits de L’incoronazione di Dario dont une superbe et émouvante interprétation de la cantilène Cessa tiranno amor et un magistral duo (avec Filippo Mineccia) Pur t’abbraccio pur t’annodo dans lequel Angioloni sait plier sa voix et son interprétation aux interventions de son partenaire.

Marco Angioloni nous emmène ensuite à Rome avec Scarlatti et deux extraits de son Telemaco dans lesquels il se montre très à l’aise : un Io pavento il tradimento rapide avec de nombreux changements de rythme, suivi de Mio dolce nettare, émaillé de sauts d’octaves et à la structure originale. Puis ce sera Naples avec un extrait de la Didone abbandonata de Sarro qui permet à Angioloni de faire montre d’une grande maîtrise technique et d’une belle pureté de style.

Lors des deux saisons passées à Londres avec Haendel, Fabri a créé plusieurs rôles dont Berengario dans Lotario. Deux airs de cette œuvre nous sont proposés : Son vinto, oh ciel, très incarné dans un récitatif palpitant et Regno, grandezza, affani e trono, très caractéristique du style de Haendel et dans lequel Marco Angioloni rend très bien le caractère martial du personnage. Autre rôle créé pour Fabri, Emilio dans Partenope, illustré ici par La speme ti consoli qui sied parfaitement à la souplesse vocale d’Angioloni et à son chant nuancé. Haendel a réécrit pour Fabri et la reprise de 1730 le rôle-titre de Scipione, initialement dévolu à un alto castrat, avec le majestueux Tra speranze, affetti e timore, ainsi que le rôle de Goffredo (auparavant confié à un contralto) pour la reprise de Rinaldo en 1731. On retrouve deux airs de cette version dans cet enregistrement : le très célèbre Mio cor che mi sai dir interprété ici avec beaucoup d’aisance et de brio et Siam prossimi al porto. Pour conclure cette évocation de la carrière londonienne de Fabri, une aria du rôle d’Alessandro qu’il a créé dans Poro re dell’Indie, le redoutable Torrente cresciuto per torbida piena virtuose et très technique.

Et pour conclure ce voyage musical à Vienne, un autre rôle créé par Fabri, celui d’Osroa dans l’Adriano in Siria de Caldara, cadeau d’anniversaire de Charles VI. L’air choisi, Leon piagato a morte, aria di bravura, illustre la virtuosité de l’interprète et l’orchestration imaginative et rythmée de Caldara.

Trois pièces orchestrales enrichissent cet enregistrement : l’ouverture de l’acte II, la sinfonia de l’acte III de Scipione et la sinfonia de l’acte III de Partenope . Ces trois pièces sont brillamment interprétées par l’ensemble Il Groviglio qui accompagne avec soin le ténor tout au long de l’enregistrement. Le style est impeccable, les sonorités superbes et très équilibrées et on ressent une énergie et un enthousiasme communicatifs.

Cet enregistrement confirme les qualités de Marco Angioloni dont le chant et le timbre restent très naturels quelles que soient les difficultés techniques qu’il affronte. La diction très solide est particulièrement agréable dans les récitatifs. Les couleurs chaudes du timbre, le vibrato délicat et les nuances mises au service d’une technique affirmée permettent au ténor de donner vie aux différents personnages qu’il incarne au long d’airs soigneusement choisis. Marco Angioloni se dit très à l’aise dans les airs composés pour Fabri et cet enregistrement le confirme en tous points. La voix donne envie de l’entendre dans l’Orphée de Gluck (version de 1774). Parce qu’on devine à plusieurs reprises une voix de ténor lyrique, on lui souhaite de pouvoir, comme il le désire, bientôt interpréter Rossini.

Comme lors de son précédent enregistrement (voir le compte-rendu dans ces colonnes), le travail musicologique mérite d’être salué. Sur les 19 extraits proposés, 8 sont des enregistrements en 1ère mondiale et le voyage fait en compagnie de Fabri s’avère passionnant.



Publié le 19 janv. 2022 par Jean-Luc Izard