Portrait de Jean-Marc Andrieu

Chef d’orchestre et fondateur de l’ensemble Les Passions auquel il a su imposer sa griffe, Jean-Marc Andrieu est un musicien aux dons multiples. Toutes les facettes de son talent sont également irriguées par le bonheur de vivre les musiques qu’il aime, essentiellement celles du répertoire baroque qu’il s’attache à explorer, pour les donner en partage. Tantôt flûtiste, tantôt à la tête des Passions, il est également directeur du Conservatoire de Montauban depuis 1991 et musicologue à la recherche de partitions rares qu’il scrute avec attention car sa probité de musicien l’incite avant tout à se reporter aux textes d’origine pour donner à ses interprétations la tonalité la plus juste, au plus près des intentions du compositeur.

Un parcours personnel exigeant

Jean-Marc Andrieu débute ses études musicales au Conservatoire National de Région de Toulouse où il obtient rapidement les premiers prix de flûte à bec, musique de chambre et solfège. Poursuivant des études de musicologie à Toulouse, il se passionne pour la musique ancienne et décide de perfectionner son apprentissage de l’instrument élu et approfondir l’art de l’interprétation auprès des plus éminents maîtres au prestigieux Conservatoire Sweelinck d’Amsterdam.

L’année 1986 marque un tournant décisif avec la création à Toulouse d’un ensemble instrumental baroque dont la réputation ne cessera de s’affirmer, qui deviendra en 1991 l’Orchestre Baroque de Montauban, puis Les Passions en 2003. Sous ce nom emblématique des affinités artistiques et de l’engagement du chef, l’ensemble à géométrie variable se produit en petites formations, en grands oratorios ou se déploie pour accompagner des spectacles historiques. Sa singularité s’exprime par la pratique des instruments d’époque et la fidélité aux techniques de jeu de la musique ancienne.


© J-J.Ader

Attaché au répertoire français des 17e et 18e siècles, en particulier à Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) et à Jean-Philippe Rameau (1683-1764), guidé par un goût pour la découverte et l’étude de partitions rares pour lesquelles il accomplit parfois de sérieuses restitutions, Jean-Marc Andrieu a centré ses recherches sur le baroque français méridional en partie oublié, qu’il a contribué à faire revivre. Ses interprétations sur scène ou au disque sont désormais une référence qui valorise les compositeurs-phares de la période : Jean Gilles (Tarascon, 1668 - Toulouse, 1705) dont il a gravé les œuvres majeures après les avoir données en concert, Antoine-Esprit Blanchard (Pernes-les-Fontaines,Vaucluse, 1696 – Versailles, 1770), musicien de grand talent peu connu qu’il a exhumé à l’occasion des 30 ans de l’Orchestre et dont il a enregistré le superbe Magnificat à la Chapelle royale daté de 1741 (lire le compte-rendu dans ces colonnes ), enfin Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (Narbonne, 1711 – Paris, 1772) dont il présente cette fois un trésor baroque exceptionnel, Daphnis et Alcimadure, une pastorale inspirée d’une fable de La Fontaine, unique opéra chanté en Occitan. Créé en 1754 à Fontainebleau devant Louis XV et la cour, l’ouvrage rencontra un immense succès avant de disparaître dans les archives de l’histoire de la musique puis de réapparaître magnifié par le chef et son ensemble. Jean-Marc Andrieu aborde d’autres sensibilités musicales : le répertoire allemand, celui de Jean-Sébastien Bach dont il grave notamment la Passion selon Saint-Matthieu, il interprète également la musique italienne (Nicola Porpora, Alessandro Scarlatti, Jean-Baptiste Pergolèse, Antonio Vivaldi) ou des pages de la musique anglaise, en particulier Purcell. Sous son impulsion, Les Passions collaborent régulièrement avec des ensembles vocaux remarquables, le chœur de chambre Les Eléments (dirigé par Joël Suhubiette) ou le chœur du Capitole de Toulouse (dirigé par Alfonso Caiani).

A la tête des Passions, Jean-Marc Andrieu est régulièrement invité à participer à de prestigieuses manifestations de musique ancienne et baroque. En France où la formation se produit aux festivals de Lessay, Pontoise, Sablé, Sylvanès, Conques, Toulouse-les-orgues, Strasbourg, La Chaise-Dieu, Radio France Montpellier Occitanie… A l’étranger, Les Passions sont accueillies également avec enthousiasme en Italie, Pays-Bas, Espagne, Allemagne, Suisse, Hongrie ainsi qu’en Amérique latine, Bolivie, Pérou, Chili, Mexique, Brésil où leurs concerts rencontrent les plus vifs succès. Cette activité des Passions menée avec ferveur a renforcé leur notoriété et confirmé leur grande qualité musicale déjà couronnée par de nombreux prix dont l’Orphée d’or de l’Académie du disque lyrique à l’Opéra Bastille, le Coup de Cœur de l’Académie d’Occitanie des Arts, Lettres, Sciences et Traditions Populaires à Toulouse

Le Festival Passions Baroques à Montauban

En 2011 Jean-Marc Andrieu fonde le Festival Passions Baroques à Montauban, ville où l’ensemble est en résidence. Pour sa sixième édition qui se déroulera du 2 au 11 octobre 2020 à Montauban et en Tarn-et-Garonne, le festival conviera le public Aux rives du baroque pour écouter les riches partitions qui ont précédé et suivi l’âge baroque entre Renaissance et Classique, de Purcell et Monteverdi à l’héritage de Bach porté par ses fils jusqu’aux prémices du classicisme sublimé par l’œuvre de Mozart. La programmation associera concerts, théâtre musical, rencontres, master-classes, conférences, expositions. Ces événements se déploieront dans les lieux patrimoniaux remarquables dont le théâtre Olympe de Gouges, le musée Ingres-Bourdelle à Montauban ou les châteaux de Gramont et Lamotte-Bardigues en Tarn-et-Garonne.(Vous pourrez retrouver toutes les informations relatives aux spectacles en cours ou programmés sur le site : www.les-passions.fr)

Une production discographique inventive

Une politique active menée en partenariat avec le label Ligia permet l’édition d’un disque par an. Toutes les gravures témoignent des choix esthétiques qui accompagnent un travail musical approfondi où transparaissent la personnalité de Jean-Marc Andrieu et ses compétences de chef d’orchestre, chef de chœur et flûtiste. Ses interprétations sensibles cherchent à traduire des sentiments intimes éprouvés pour chaque partition qui trouvent leur modalité musicale à travers des choix mûrement étudiés et analysés.

Les belles pages de la musique baroque ont fait l’objet de disques qui couvrent une période féconde où le style et l’expression ont atteint raffinement et perfection. Pour certains enregistrements, Jean-Marc Andrieu assure la partie flûte à bec et direction, d’autres où il est à la tête de ses musiciens, instrumentistes et chanteurs.

De Bach au répertoire italien, de la musique française au baroque occitan, la discographie des Passions s’impose : La Passion selon Saint-Matthieu de Jean-Sébastien Bach, Con voce voce festiva, consacré à Alessandro Scarlatti, les Vêpres vénitiennes de Nicola Porpora et des concertos d’Antonio Vivaldi, Noël baroque occitan avec Les Sacqueboutiers (ensemble de cuivres anciens de Toulouse), Beata est Maria, motets à trois voix d’hommes de M-A Charpentier, inédits pour la plupart.  FolieS !, CD exclusivement voué à la flûte à bec, instrument favori du chef, rassemble des pièces de compositeurs italiens, français, allemands de l’âge baroque.

Jean-Marc Andrieu s’est engagé avec une ardente détermination à défendre les œuvres de Jean Gilles, l’immense compositeur toulousain. Elles ont ainsi fait l’objet de trois parutions successives : Requiem (2008), Lamentations (2010), Te Deum, Messe en Ré (2012), réunies dans un coffret magistral (2013). En 2016, le Magnificat à la Chapelle Royale, consacré aux motets à grand chœur d’Antoine-Esprit Blanchard, enregistré lors du concert à Montpellier, en co-production avec Radio France, a reçu le label Le choix de France Musique, 5 Diapasons, 4 Etoiles Classica, la Clé du Mois de Resmusica et autres critiques élogieuses. En 2018 est sorti Le Vent des Royaumes, alliance féconde du baroque occidental et des musiques traditionnelles orientales (voir la chronique).

Dernière parution dans les bacs depuis quelques mois, le Stabat Mater de Pergolèse et le Salve Regina de Scarlatti. Ce beau CD met en regard deux œuvres de musique sacrée d’une haute spiritualité dédiées à la Vierge présentée tantôt en majesté, tantôt éplorée au pied de la Croix, et réunit deux magnifiques compositeurs du baroque napolitain : Alessandro Scarlatti (1660-1725) et Jean-Baptiste Pergolèse (1710-1736).

Le Stabat Mater composé en 1736, l’ultime ouvrage de Pergolèse, figure mythique de l’histoire de la musique, est selon Jean-Marc Andrieu « un incontournable chef-d’œuvre de la littérature baroque d’une grande intensité dramatique composé par un génie emporté prématurément par la maladie. » Le parti pris du chef offre, à partir d’une étude minutieuse de la partition miraculeusement éditée en fac-similé, une lecture à la fois intimiste, fiévreuse et théâtrale. A l’écoute du texte, la direction souple, à la fois sobre et expressive, opte pour une version rare qui réduit l’orchestre à un pupitre par partie et soutient le lien dynamique qui renforce l’articulation du discours musical. La soprano Magali Léger et le contre-ténor Paulin Bündgen, deux voix au timbre complémentaire, se marient harmonieusement au-dessus d’un orchestre bien conduit et colorent le récit haletant et pathétique de ce poème de la douleur (voir le compte-rendu du concert donné à Montauban en 2017).

Le Salve Regina en fa mineur attribué à Alessandro Scarlatti, « le grand classique » de l’école napolitaine, est la pièce la plus jouée des cinq Salve Regina composés par le musicien à partir de 1703. Cette ode à Marie, écrite pour deux voix, cordes et basse continue sur l’antienne latine est un moment intense de la liturgie chrétienne. Dans un style clair et simple, les tournures, les cadences et les formules harmoniques inventées par Scarlatti font se succéder des pages qui expriment un état contemplatif profondément intériorisé où la soprano et le contre-ténor dans un dialogue valorisé par l’écriture vocale s’épanouissent dans la plénitude de leur chant au délicat phrasé.

La Sinfonia à 4 de Scarlatti, pièce purement instrumentale, assure, comme une respiration, la transition entre le Stabat Mater et le Salve Regina, deux moments musicaux empreints d’une intense religiosité.



Publié le 22 sept. 2020 par Marguerite Haladjian