Rencontre avec Max-Emanuel Cencic
©Anna Hoffmann Juste après le succès des représentations d'Arminio à Karlsruhe et au milieu d'une tournée internationale consacrée aux Arie Napoletane publiés chez Decca (voir nos chroniques : Airs napolitains et Les feux napolitains de Cencic), Max Emanuel Cencic a bien voulu nous accorder, dans un français très fluide et d'une rare élégance, un entretien au cours duquel son ouverture au monde, aux réalités contemporaines ainsi que sa simplicité et sa gentillesse naturelles nous ont impressionné.BaroquiadeS :
Avec Arminio vous cumulez pour la deuxième fois, après Siroe, le rôle-titre et la mise en scène d’un opéra. N’est-ce pas beaucoup de travail et donc un peu risqué ? Est-ce que ça ne génère pas des difficultés, des tensions avec les autres interprètes et le chef d’orchestre ?Max-Emanuel Cencic : C’est vrai, ce n’est pas facile. Mais je suis à l’aise avec ce travail de mise en scène qui me plait énormément. La mise en scène de
Siroe, c’était un hasard, parce que le metteur en scène qui était initialement prévu n’a pas pu assurer la mise en scène et on n’avait plus le temps, ni l’argent. Je me suis dit que s’il n’y a pas d’argent ça ne doit pas être une raison et donc j’ai décidé de le faire. Au début j’ai eu un peu peur d’être obligé de rester au théâtre sept à huit heures par jour, de vivre avec une histoire en permanence avec le risque de devenir obsédé ou déprimé. Mais pas du tout. En fait, quand on s’intéresse au sujet, à l’histoire de l’opéra, le temps passe très vite et on n’a pas le temps de s’ennuyer ou de s’inquiéter.
Sortir du rôle de chanteur et travailler avec les collègues dans une autre fonction m’a appris énormément sur mon propre travail de chanteur. Observer ce que font les autres interprètes m’a permis aussi d’avoir un meilleur jugement sur ce que je fais comme chanteur.
Finalement j’ai été passionné par cette expérience pour
Siroe et, avec cette deuxième production, ça a même été encore plus fort car, pour
Arminio, les moyens étaient plus importants : j’avais un grand théâtre, j’avais seize figurants, une très grande scène, des moyens scéniques et techniques importants, des vidéos… C’était génial et j’ai beaucoup aimé cette expérience.
Avec
George Petrou, ça se passe très bien. Nous sommes amis depuis longtemps, nous nous connaissons bien et il sait déjà que je suis un peu colérique.., On peut discuter âprement, se disputer même mais on sait l’un et l’autre qu’on se bat tous les deux pour l’excellence et que le sujet c’est l’art, la musique et que ça n’a rien de personnel.
BaroquiadeS :
Avec le dispositif scénique compliqué que vous avez évoqué, pensez-vous pouvoir représenter Arminio en France ?Max-Emanuel Cencic : Oui, j’espère vraiment pouvoir le monter en France. La difficulté est technique car il faut adapter un dispositif conçu pour Karlsruhe, avec les moyens exceptionnels de ce théâtre. Il n’y a pas en France, par exemple, de théâtre qui a cinq scènes tournantes ; il faudra donc s’adapter et on ne pourra pas montrer le spectacle exactement comme il a été monté à Karlsruhe.
BaroquiadeS :
C’est frustrant ?Max-Emanuel Cencic : Non, mais c’est un peu dommage. J’ai voulu faire quelque chose de spectaculaire en exploitant au maximum les possibilités qu’offre le théâtre de Karlsruhe et sa machinerie. Il faudra s’adapter, on verra bien.
BaroquiadeS :
On parle aussi d’un Germanico in Germania de Porpora…Max-Emanuel Cencic : Absolument, je suis en train de l’enregistrer. Je suis en contact avec un metteur en scène pour essayer de le monter. Il nous faut compléter la production et trouver un théâtre et j’ai bon espoir que nous aurons le plaisir de représenter cet opéra sur scène.
BaroquiadeS :
Et précisément ce n’est pas difficile de trouver en France des théâtres qui prennent le risque de monter un opéra baroque ?Max-Emanuel Cencic : C’est toujours difficile de trouver un théâtre mais pas spécialement en France. Ils ont presque tous des problèmes financiers et très peu ont assez d’argent pour assurer seuls la production d’un opéra. Une fois couverts les frais de fonctionnement des maisons d’opéra, il ne reste pas tant de moyens financiers que ça pour la production artistique proprement dite. Mais en France, il n’y a pas de problème spécifique à la musique baroque, que le public apprécie et qui remplit les salles. Pour la musique baroque, le sujet n’est pas de trouver le public, il est de réunir les fonds nécessaires à la production de l’œuvre, qui est souvent plus chère. Par exemple, il faut faire appel à un orchestre baroque, qui n’est pas l’orchestre salarié du théâtre et c’est donc plus cher.
BaroquiadeS :
Sur un plan personnel, et au-delà des recherches des équipes de musicologues avec lesquelles vous travaillez, comment choisissez-vous les œuvres que vous interprétez ?Max-Emanuel Cencic : Pour moi, le plus important, c’est l’histoire qu’on raconte et la beauté de la musique. Je n’aime pas les opéras ennuyeux ou qui racontent des histoires un peu bêtes. Quand j’ai décidé de faire
Catone in Utica, tout le monde me disait que cet opéra n’était pas de bonne qualité. Alors que je suis convaincu que c’est un chef d’œuvre de
Vinci et du style napolitain !
Catone a beaucoup influencé les compositeurs, par exemple
Haendel pour
Tamerlano. J’ai lu le manuscrit, je l’ai joué au clavecin et, du début jusqu’à la fin, j’ai trouvé chaque air superbe et très peu de faiblesses... L’histoire de
Catone est incroyable, c’est le premier opéra avec une fin dramatique : pensez que Catone se suicide sur scène ! à Rome ! en 1728 ! Les personages aussi -Cesare, Catone Arbace, etc.- sont incroyables. Il y a une qualité de la composition très homogène et tout ça ce sont des raisons pour moi de produire cette œuvre, de la faire revivre en remontant l’opéra sur scène.
BaroquiadeS :
A l’écoute du disque Arie Napoletane, comme lors du concert au Théâtre des Champs Elysées, j’ai eu l’impression que votre voix était plus corsée, plus épicée, avec un medium plus velouté. Vous êtes d’accord avec ça ?Max-Emanuel Cencic : Je ne sais pas, c’est possible car la voix évolue. Pour un chanteur, la maturité permet de développer de nouvelles qualités, car le corps s’adapte et qu’on peut transformer des défauts en avantages avec le temps. La technique s’adapte aussi et évolue selon le répertoire qu’on choisit et, depuis deux ans, je me sens très à l’aise avec mon répertoire. Je me concentre sur ce point et si ça produit des effets qui sont perceptibles par les auditeurs j’en suis très heureux.
BaroquiadeS :
Vous allez bientôt avoir 40 ans, est-ce que la maturité change quelque chose à votre personnalité publique qui oscille entre extravagance et sobriété, entre baroque et modernité ?Max-Emanuel Cencic : C’est vraiment moi, j’ai toujours été comme ça, je crois. L’âge ne change pas grand-chose à ça. Mais avec l’âge, je suis devenu plus aventureux : je me suis installé à Paris, j’ai construit une nouvelle vie, j’apprends le français, je travaille sur des choses nouvelles… Ma vie est devenue plus excitante qu’avant ; ma jeunesse a été souvent difficile et n’était pas très exaltante. Maintenant, je suis à un point de ma carrière où je peux faire ce que j’aime, la mise en scène, chanter ce que je veux, décider de ce que je programme. J’ai gagné en liberté.
BaroquiadeS :
Autre facette de votre activité professionnelle, c’est celle de directeur artistique de Parnassus Arts. Comment fait-on pour faire vivre Parnassus à cote des grandes majors ?Max-Emanuel Cencic :
Parnassus Arts est une agence, une maison de production ; ce n’est pas un label, une maison de disques. J’ai décidé de ne pas avoir cette activité de production et de commercialisation de disques car c’est un travail énorme et que ce n’est pas ce qui m’intéresse le plus. Ce qui caractérise Parnassus Arts, c’est la création artistique. Les maisons de disque sont peu présentes sur ce segment d’activité, donc nous montons nos projets et les leur présentons. C’est une activité de niche : les maisons de disque ont peu de moyens à consacrer à cette activité et c’est un atout pour nous. Cette activité est importante car elle permet de continuer à faire vivre un patrimoine culturel.
BaroquiadeS :
Comment se gère une carrière de chanteur sur la durée ?Max-Emanuel Cencic : Il faut savoir gérer son planning et ses prises de rôle ; c’est la grande responsabilité du chanteur. Il faut être prudent. Ce qui est important c’est de bien choisir son répertoire, d’éviter les excès dans les choix des rôles et de gérer son planning de façon prudente et raisonnable. Par exemple, j’ai rarement accepté un rôle-titre avant ces dix dernières années. Mon premier grand rôle-titre c’est
Alessandro. Avant,
Farnace et
Faramondo ce sont des rôles limités à quatre ou cinq airs. Il n’y a que depuis trois ou quatre ans que j’accepte de faire des grands rôles, des rôles lourds. C’est prudent ; il faut attendre que la voix se soit développée, d’avoir gagné en puissance pour aborder les grands rôles. Mais c’est difficile car les grandes maisons d’opéra mettent la pression pour vous faire prendre des rôles, même quand ça dépasse vos réelles capacités du moment. Et si vous refusez, vous êtes facilement accusé d’avoir la grosse tête.
BaroquiadeS :
Le succès c’est compliqué à gérer ?Max-Emanuel Cencic : Non. Bien sûr, le trac est toujours présent, mais si on est bien préparé ça devient moins présent, plus facile à gérer. Un artiste est forcément sensible, on se découvre devant le public, on montre sa fragilité et le public juge. Ce sont les critiques qui sont parfois difficiles à gérer : c’est normal qu’il y ait des gens qui n’apprécient pas ce qu’on fait et la critique aide l’artiste à réfléchir à son art. Mais parfois le critique est là pour ridiculiser, pour blesser. Ce n’est pas professionnel, c’est méchant mais c’est courant.
BaroquiadeS :
Vous vivez à Paris dans le Xème arrondissement. Pourquoi ce choix ?Max-Emanuel Cencic : Le quartier, c’est un hasard. Je cherchais un appartement, celui-ci m’a plu et voilà. J’aime Paris, j’y ai beaucoup d’amis, c’est une ville qui pulse, avec une ambiance d’échange social, une ville qui m’inspire. C’est une ville qui accueille des artistes depuis longtemps et qui attire des gens un peu fous. Donc j’y suis tout à fait à ma place
(rires).
Pour écouter prochainement Max Emanuel Cencic en France :Concert « Arie napoletane » :
29 mars 2016: Rouen, Opéra
20 mai 2016 : Festival de Froville
5 novembre 2016: Opéra national du Rhin, Strasbourg
20 décembre 2016 : Marseille
Et au disque :
Arminio qui sortira en France le 25 mars prochain.
Publié le 22 mars 2016 par Jean-Luc IZARD