Entretien avec François Joubert-Caillet

BaroquiadeS : Bonjour François Joubert-Caillet, BaroquiadeS vous remercie de lui accorder cet entretien, malgré votre emploi du temps chargé.
François Joubert-Caillet : Merci à vous!

BaroquiadeS : Lors de votre concert à la tête de l’ensemble L’Achéron en date du 20/10/16 à l’Arsenal de Metz, la passion que vous vouez à la viole de gambe rayonnait dans toute la salle de l’Esplanade. Une certaine intimité se ressentait aisément. D’où vient cette adoration ? D’ailleurs quel a été votre parcours musical ?
François Joubert-Caillet : La viole de gambe m’a tout d’abord touchée par la richesse de ses sonorités et par la finesse et la variété de ses expressions, puis par ce que font entendre ses répertoires, à la fois mélancoliques, profonds et mystiques, mais aussi généreux, éloquents et théâtraux.
Ensuite, c’est l’instrument dans lequel j’ai pu le mieux me trouver et exprimer au maximum ce que j’avais en moi, c’est progressivement devenu une évidence qu’aucun autre ne me permettrait d’aller aussi loin dans mon cheminement artistique et personnel.

BaroquiadeS : Après la pratique de différents instruments (flûte à bec, piano, contrebasse), votre choix s’est arrêté sur la viole de gambe. Comment justifiez-vous ce choix ?
François Joubert-Caillet : Je ne crois pas avoir choisi la viole de gambe, celle-ci s’est révélée comme pouvant le mieux refléter ce que je ressens, comme une extension de soi, une sorte de haut-parleur directement branché à mon âme, ça n’a pas été un choix conscient.

BaroquiadeS : Quelle influence a joué Paolo Pandolfo, violiste italien, dans ce que vous êtes devenu aujourd’hui ?
François Joubert-Caillet : Un jour, à la fin de mes études à la Schola Cantorum Basiliensis, je parlais de pédagogie avec Paolo et celui-ci m’a dit que selon lui le rôle d’un professeur était surtout de ne pas empêcher un élève de faire son chemin et de se trouver lui-même ; de lui donner les moyens pour y parvenir, mais que le chemin serait de toute façon parcouru par l’élève. C’est exactement ce qu’il a fait : Paolo m’a donné les outils pour construire mon jeu et comprendre mon instrument mais il m’a laissé sortir seul de ma chrysalide et éclore peu à peu. Il a passivement guidé ma métamorphose.
Wieland Kuijken a été extrêmement inspirant lui aussi. Même si je n’ai pas étudié avec lui mais uniquement joué à ses côtés, celui-ci m’a incité à faire venir le panache et l’expression de l’intérieur et non pas de l’extérieur, d’exprimer la musique pour ce qu’elle est et non ce que je voudrais qu’elle soit, de prendre de la hauteur.
Naturellement, face à un tel pionnier qui a tant fait pour la redécouverte de la viole de gambe et du répertoire ancien, il m’a également fait me demander -indirectement- ce à quoi je « servais », ce qui m’a beaucoup nourri dans le développement de L’Achéron : est-il suffisant de bien jouer cet instrument et cette musique ou ne devrais-je pas tenter d’apporter ma pierre à l’édifice?...

BaroquiadeS : Depuis octobre 2014, vous vous êtes lancé corps et âme dans un fabuleux mais néanmoins titanesque projet, celui d’enregistrer l’ensemble des pièces de viole de Marin Marais. Comment cette idée a-t’elle vu le jour ? Quel but poursuivez-vous ?
François Joubert-Caillet : L’idée est venue de Jérôme Lejeune, le directeur du label Ricercar : il y a aujourd’hui beaucoup de disques consacrés à Marin Marais, mais pour véritablement tenter de proposer une interprétation intéressante, novatrice, il fallait selon lui avoir une vision à la fois plus globale et profonde de sa musique que seul un tel projet sur plusieurs années pouvait provoquer.
Le côté titanesque n’est donc pas ce qui nous anime, c’est le fait d’entrer peu à peu, session d’enregistrement après session d’enregistrement, dans l’univers de Marin Marais, de le comprendre de mieux en mieux, lui et son monde, et de rendre grâce à ce compositeur exceptionnel.
Cela fait aujourd’hui trois ans que je me suis lancé dans ce projet et il est évident que mes visions de Marin Marais, de la musique et de la viole de gambe françaises ont considérablement évolué!

BaroquiadeS : En février dernier est paru le disque Pièces Favorites, concentré de « tubes » et de pièces moins connues. Pouvez-vous nous en parler ?
François Joubert-Caillet : Lorsqu’on entame une telle aventure discographique, il est important de « préparer » le public : ce disque-florilège a permis de faire parler de notre projet mais aussi de donner un minuscule avant-goût de ce qui allait venir, de faire entrer dans l’antichambre d’un immense palais… mais l’aventure commencera réellement au printemps prochain avec la parution du 1er Livre!

BaroquiadeS : Le public lorrain a une chance inouïe puisque votre ensemble et vous-même êtes en résidence à l’Arsenal. Après le voyage dans l’univers de Marais, quelle sera la prochaine destination ?
François Joubert-Caillet : Nous donnerons le 5 avril prochain « L’Orgue du Sultan », un projet de rencontre Orient-Occident décrivant le voyage de Thomas Dallam de Londres à Constantinople, envoyé en 1599 par Elizabeth 1ère pour offrir un orgue au sultan Mehmet III. Le carnet de bord de Dallam nous est parvenu et ce concert décrit musicalement son récit, tout en laissant le public lire quelques extraits particulièrement intéressants de son voyage.
Nous serons deux ensembles : L’Achéron et Sultan Veled, représentant respectivement l’Angleterre et l’Empire Ottoman, avec la soprano Amel Brahim-Djelloul symbolisant la rencontre de ces deux mondes. On s’en doute, ceux-ci ne sont pas si éloignés qu’il n’y paraît, les timbres des instruments (clavecin, orgue, violes, flûtes, hautbois, ney, qanun, oud) se marient à merveille et le nombre de points communs de ces deux répertoires est véritablement surprenant, de quoi repenser les concepts d’identité, de différence, d’éloignement… ce dont nous avons bien besoin aujourd’hui!

BaroquiadeS : Nous ne manquerons pas de vous suivre, et ce avec intérêt…



Publié le 23 nov. 2016 par Jean-Stéphane SOURD DURAND