Rencontre avec Jean-Philippe Desrousseaux

BaroquiadeS : Bonjour Jean-Philippe. Metteur en scène, marionnettiste et comédien, vous travaillez actuellement sur un projet qui vous tient je crois particulièrement à cœur ?

Jean-Philippe Desrousseaux : En effet. Il s’agit du Fairy Queen de Purcell, que je mets en scène pour l’Atelier Lyrique de Tourcoing et qui sera donné fin février au Théâtre Raymond Devos de la ville. Il sera dirigé par Alexis Kossenko.

BaroquiadeS : Nous avons rencontré récemment Alexis Kossenko (voir l’entretien dans ces colonnes), et nous savons quel prix il attache aux mises en scène...

Jean-Philippe Desrousseaux : En fait il s’agit de ma seconde collaboration avec Alexis. La première a porté sur L’Etoile de Chabrier, déjà pour le théâtre municipal de Tourcoing. C’est un bonheur de travailler avec Alexis, car il a à la fois le sens du théâtre et de la musique. De mon côté j’ai également eu une formation musicale, je suis donc toujours très attentif au texte et à la musique quand je conçois une mise en scène d’opéra...

BaroquiadeS : Mais pour Fairy Queen le défi est de taille, car vous avez affiché l’ambition de donner l’œuvre complète, avec les parties théâtrales, et pas seulement les entrées musicales, auxquelles se limitent habituellement les représentations...

Jean-Philippe Desrousseaux : Pour moi cette musique est faite pour être jouée avec le texte qui l’accompagne, adapté du Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare. Et c’est aussi ce qui me plaît dans cet ouvrage, car je suis un passionné de Shakespeare et du théâtre élisabéthain ! La difficulté c’est que l’ouvrage complet est assez long, et nécessite une importante troupe de comédiens.

BaroquiadeS : On avait pu le constater en effet dans la célèbre production du Festival de Glyndebourne (2009), mise en scène par Jonathan Kent et dirigée par William Christie, donnée également l’année suivante à l’Opéra Comique et disponible en DVD (Opus Arte).

Jean-Philippe Desrousseaux : Quand j’ai vu cette production j’ai pensé qu’il s’agissait d’un montage idéal ! Dès lors que faire d’autre ? Mais le théâtre est aussi affaire de contraintes, et les entraves forcent l’imagination. Aussi je me suis posé la question : peut-on « tailler dans le texte » tout en conservant l’esprit de l’œuvre originelle ? Comment adapter le texte en conservant l’à-propos des divertissements musicaux par rapport au texte ?

BaroquiadeS : Et quelles réponses avez-vous apportées ?

Jean-Philippe Desrousseaux : Tout d’abord j’ai noté que Shakespeare avait déjà eu recours à un artifice du théâtre antique, le chœur pour effectuer une narration. En l’occurrence j’ai fait appel à un acteur unique pour tenir ce rôle. Et puis j’ai également utilisé le prologue d’Henri V du même Shakespeare, qui est une ode au théâtre et invite à la catharsis, pour livrer aux spectateurs les codes de ma production : les personnages qu’on voit ensuite sur scène (choristes, danseur,…) adhérent au spectacle qu’ils contribuent à former, au message qu’ils diffusent : le message de Fairy Queen c’est celui de l’Amour, à travers ses étapes initiatiques. Un aspect essentiel de Purcell et Shakespeare est qu’ils constituent des figures emblématiques de la culture anglaise. Je me suis dit : jouons de cette anglomanie, représentons des clichés. Cette auto-dérision, ce sens de l’humour est d’ailleurs lui aussi typiquement britannique, il a même reçu une dénomination spécifique : la bardolatry. Et on ne parodie bien que ce que l’on aime ! J’évoque donc des personnages anglais célèbres, et même contemporains : la reine bien sûr, mais aussi lady Diana, Margaret Thatcher, Boris Johnson… Il y est même question du Brexit !

BaroquiadeS : Cela nous promet de savoureux instants...

Jean-Philippe Desrousseaux : C’est la première fois que j’utilise des personnages contemporains dans une mise en scène d’opéra. Mais je constate que cela semble fonctionner plutôt bien : les interprètes anglais qui travaillent avec nous en sont même très friands ! Et ces clins d’œil contemporains côtoient des références historiques : ainsi notre unique danseur, Steve Player, a beaucoup travaillé sur les danses de l’époque élisabéthaine… Cette accumulation, avec un livret à tiroirs, est en elle-même très baroque : le baroque c’est aussi l’art de l’hyperbole !

BaroquiadeS : Merci Jean-Philippe, nous ne manquerons pas cette production ! Mais revenons un peu sur vous : comment êtes-vous devenu metteur en scène ?

Jean-Philippe Desrousseaux : Au départ j’ai bien entendu une formation de comédien . Mais aussi de marionnettiste. Avec les marionnettes on est tout à la fois interprète, machiniste et metteur en scène ! Dès l’adolescence j’ai fait des marionnettes en amateur, et cela m’a permis de me familiariser avec la mise en scène.

BaroquiadeS : La mise en scène d’un opéra n’est-elle pas différente de celle d’une pièce de théâtre ?

Jean-Philippe Desrousseaux : Bien sûr ! Pour cela ma formation musicale m’est très utile : j’ai longtemps joué de la flûte traversière, et j’ai fait également de l’analyse musicale. Je suis donc habitué à lire les conducteurs d’orchestre : c’est très important pour que les éléments de la mise en scène fassent corps avec la musique. D’ailleurs je commence toujours ma réflexion sur une mise en scène d’opéra en lisant la partition.

BaroquiadeS : Vous vous êtes aussi déjà signalé sur des mises en scène originales de parodies baroques, avec des marionnettes...

Jean-Philippe Desrousseaux : L’aventure a débuté en 2014 avec le Centre de Musique Baroque de Versailles. La belle-mère amoureuse était une parodie d’Hippolyte et Aricie de Rameau, construite à partir de deux parodies de l’époque, et dans laquelle nous avons ajouté des airs originaux du compositeur. Une amie, Françoise Rubellin, avait également retrouvé à la bibliothèque de Boston un Air de mademoiselle Victoire, dévolu à Phèdre. Elle n’a retrouvé que la ligne de chant, Benoît Dratwicki (NDLR : directeur musical du CMBV) a esquissé un accompagnement. D’un autre côté nous avons supprimé tout ce qui n’était plus compréhensible par le public contemporain : le but n’était pas de faire un spectacle pour des spécialistes. Côté mise en scène je me suis appuyé sur un castelet élaboré par le sculpteur tchèque Petr Řezáčk. Je voulais une carcasse de théâtre baroque, dont on verrait la machinerie, avec trois niveaux : la scène et les interprètes, les marionnettes et les marionnettistes. Je souhaitais cet aspect un peu frustre, qui montrait une assemblée d’artistes réunis autour d’un spectacle baroque, avec des airs sérieux et populaires, comme on le faisait à l’époque dans les foires parisiennes. Ce spectacle est allé jusqu’en Chine...

BaroquiadeS : Fort de ce succès vous avez récidivé je crois ?

Jean-Philippe Desrousseaux : Toujours dans le même esprit j’ai également monté une parodie d’Atys de Lully (voir la chronique dans ces colonnes), qui a également beaucoup tourné. La guerre des théâtres est un autre ouvrage baroque qui raconte les débuts du genre de l’opéra comique. Il a été créé en 2015, pour les trois cents ans de l’Opéra Comique, avec la collaboration de Jean-Paul Davois. Nous avons bénéficié du soutien du Château de Versailles, qui nous a prêté des décors du Théâtre de la Reine. C’est un spectacle qui me tenait à cœur, car il retrace les difficultés des comédiens des foires parisiennes, qui subissaient les foudres de l’Opéra et de la Comédie Française. Et qui témoigne de leur ingéniosité pour contourner les interdits : pour l’interdiction de chanter, faire chanter les spectateurs ; pour l’interdiction de présenter des comédiens sur scène, le recours aux marionnettes...

BaroquiadeS : Se replonger dans ce répertoire nécessite de minutieuses recherches...Vous vous appuyez sur des travaux historiques ?

Jean-Philippe Desrousseaux : Bien sûr, et notamment les recherches de Françoise Rubellin, spécialiste de Marivaux, qui s’est beaucoup intéressée aux personnages du théâtre du XVIIIème siècle, notamment Polichinelle. De nombreuses pièces utilisent des marionnettes ; une anthologie devrait d’ailleurs paraître prochainement. Les foires utilisaient également la technique du vaudeville (de son étymologie : « voix de ville ») : celle-ci permettait de faire chanter les spectateurs en utilisant des thèmes de chansons populaires, « sur l’air de ». Beaucoup de compositeurs l’ont utilisée. Et je travaille avec une équipe fidèle, notamment François-Xavier Guinepain, mon éclairagiste.

BaroquiadeS : Bien sur, l’éclairage constitue un élément important du spectacle de marionnettes… Quels sont vos projets actuels ?

Jean-Philippe Desrousseaux : Ils sont liés à l’actualité, et à la célébration des quatre cents ans de la naissance de Molière. Avec Arnaud Marzorati et son ensemble Les Lunaisiens, nous venons de monter Don Juan tel qu’il inspira Molière (voir la présentation sur YouTube). L’espagnol Tirso de Molina (1583 – 1648) a inventé ce personnage dans son ouvrage El Burlador de Sevilla o convidado de piedra (1616). La pièce , imprimée en 1630, a rapidement inspiré plusieurs troupes présentes à Paris, dont celle des Italiens. Leurs représentations avaient enchanté Molière avant qu’il écrive à son tour sa pièce (en 1665). Il ne reste pas grand-chose du texte des Italiens, mais on sait qu’ils parodiaient le texte originel : nous avons donc parodié à notre tour le texte de Molina, en mobilisant des chanteurs, des danseurs et des musiciens. J’y joue aussi personnellement, en tant que comédien et marionnettiste. Cette production a été créée récemment au Théâtre d’Avignon, elle va tourner dans les prochains mois.

BaroquiadeS : Vous intervenez dans le domaine du baroque, mais pas exclusivement. Qu’est-ce qui motive votre attachement au répertoire baroque ?

Jean-Philippe Desrousseaux : Ce qui m’enchante dans le baroque c’est qu’il y a toujours des découvertes. Et que les œuvres ne sont pas sacralisées : les compositeurs ne se privaient pas de les adapter. La part théâtrale de ce répertoire représente un patrimoine énorme, c’est elle qui m’intéresse...

BaroquiadeS : Et quel est votre prochain projet de mise en scène d’opéra baroque ? Si vous pouvez en parler ici...

Jean-Philippe Desrousseaux : Avec plaisir ! avec Alexis Kossenko nous allons monter en 2024 Atys de Lully. Ce projet bénéficie également du soutien du CMBV ; il est monté en co-production avec l’Opéra de Tours.

BaroquiadeS : Merci Jean-Philippe, nous ne manquerons pas de vous suivre dans vos prochains projets !



Publié le 20 févr. 2022 par Bruno Maury