Propos recueillis à Paris par Bruno Maury - Mai 2021
Rencontre avec Bruno Procopio
BaroquiadeS : Bonjour Bruno. Claveciniste, chef d’orchestre, directeur du label Paraty… vous êtes bien connu dans le milieu de la musique baroque. Mais avant de parler du projet qui vous absorbe actuellement, pouvez-vous revenir un instant sur votre formation musicale ?
Bruno Procopio : Oui, j’ai étudié avec Christophe Rousset au CNSMDP mais aussi avec Pierre Hantaï, qui a été mon professeur de clavecin pendant presque une décennie. C’était une chance énorme, mais aussi un défi redoutable pour un jeune musicien comme moi que de m’imprégner de son jeu pour m’approcher de son niveau. A la sortie du Conservatoire j’ai fait des choix un peu différents de la plupart de mes collègues, qui ont souvent créé leur propre ensemble. Je voulais être plus libre, travailler avec des musiciens différents sur des morceaux que je choisissais. J’ai alors enregistré quelques disques.
BaroquiadeS : Mais vous n’aviez pas encore créé le label Paraty ?
Bruno Procopio : Pas encore, et c’est justement à la suite de ces premiers enregistrements que j’ai songé à créer mon label. Car je me suis vite rendu compte qu’en travaillant avec des labels existants je n’étais pas vraiment libre de mes choix, j’ai créé Paraty pour pouvoir échapper à ces contraintes, et réaliser les enregistrements dont j’avais envie.
BaroquiadeS : Et ce label est aujourd’hui devenu un acteur significatif dans le paysage de la musique baroque...
Bruno Procopio : Oui, car je me suis aperçu bien vite que si le label n’accueillait que mes enregistrements il resterait marginal. Pour exister sur le marché il faut produire régulièrement de nouveaux enregistrements. Aujourd’hui nous avons environ quatre cents CD au catalogue, et nous enregistrons un trentaine de titres par an.
BaroquiadeS : Si vous n’avez pas monté votre ensemble, avec quels musiciens avez vous débuté ?
Bruno Procopio : En fait j’ai très vite travaillé en partenariat avec le Simón Bolívar Symphony Orchestra, dirigé par b>Gustavo Dudamel. Cet orchestre est la formation la plus expérimentée d’une vaste constellation d’orchestres, rassemblés dans le SISTEMA. Le SISTEMA est un projet vénézuélien original, qui accueille de jeunes musiciens, afin de favoriser leur insertion sociale et musicale au sein d’une formation musicale. Le Simón Bolívar Symphony Orchestra a accueilli les plus grands chefs internationaux, notamment Claudio Abbado. C’est avec eux que j’ai enregistré mon premier CD, Rameau in Caracas.
BaroquiadeS : Mais ce n’est pas une formation proprement baroque ?
Bruno Procopio : Non, et c’est pourquoi j’ai fondé l’Orchestre baroque Simon Bolivar, en y regroupant de jeunes instrumentistes intéressés par le répertoire baroque...
BaroquiadeS : Un beau projet en tous cas, à la fois par ses aspects musicaux et sociaux… Mais très loin de la France !
Bruno Procopio : En France j’ai créé il y a trois ans le festival Nuits Musicales à Mazan (voir le site), un petit village au pied du mont Ventoux. Ce village possède une superbe salle de concert, La Boiserie, éco-construite, remarquable tant par ses qualités acoustiques qu’environnementales : la température et l’hygrométrie y sont à peu constantes, même sans climatisation, ce qui est très important pour les instruments anciens. J’ai donc voulu aussi créer un orchestre autour de ce festival, et de la musique de Rameau. Je l’ai dénommé Jeune Orchestre Rameau.
BaroquiadeS : Votre compositeur fétiche, décidément !
Bruno Procopio : Oui, pour moi c’était une évidence : se consacrer à Rameau, et plus largement au baroque français, en accueillant de jeunes interprètes de haut niveau. Pour cela nous nous sommes associés avec cinq conservatoires, dont le CNSMD de Paris et le Conservatoire Royal de Bruxelles.
BaroquiadeS : C’est vrai que si Rameau est très connu, ses œuvres ne sont pas si fréquentes dans les programmes baroques...
Bruno Procopio : Oui, et ce sont souvent les mêmes qui sont données. Le travail mené ces dernières années par Sylvie Bouissou, rédactrice en chef de l’édition Opera omnia de Rameau (distribution : Bärenreiter), a permis de restaurer de manière moderne les œuvres du compositeur dijonnais, dont de nombreux inédits qui n’existaient qu’à l’état de manuscrits. Dès les concerts de cette année nous allons pouvoir jouer des œuvres inédites au festival ! Nous prévoyons aussi bien entendu d’effectuer des enregistrements. Et nous allons créer également, en plus du festival et de l’orchestre, un centre de recherches musicales et de rencontres consacré à Rameau et aux compositeurs baroques français.
La Boiserie © Pierre Marilly
BaroquiadeS : Un vaste et ambitieux programme, qui devrait donner un bel élan au répertoire français !
Bruno Procopio : On invoque souvent le coût des productions de ce répertoire comme un obstacle à sa programmation, et c’est une difficulté réelle. Mais au-delà de cet aspect matériel fournir une bonne interprétation du baroque français nécessite une bonne appropriation préalable du langage musical qui lui est spécifique. C’est d’autant plus indispensable que dans les opéras baroques français l’orchestre tient une place au moins aussi importante que les chanteurs ou les chœurs : c’est un personnage à part entière, et l’on passe continuellement du chant aux intermèdes musicaux. Or à l’heure actuelle, les orchestres familiers de ce répertoire se comptent sur les doigts d’une main…
BaroquiadeS : Je crois savoir qu’en créant ce festival vous avez fait une surprenante découverte concernant la postérité de Rameau ?
Bruno Procopio : Oui, c’est une anecdote savoureuse et surprenante. A l’issue d’un de mes concerts un historien régional, monsieur Barruol, m’a abordé pour m’expliquer que Mazan rassemblait dans sa population le plus grand nombre de descendants de Rameau ! J’ai aussitôt chercher à vérifier cette information, et elle s’est avérée parfaitement exacte. Cette coïncidence a bien sûr renforcé l’intérêt de la commune pour notre démarche.
BaroquiadeS : Terminons sur une question d’actualité. Le contexte sanitaire ne constitue t-il pas un obstacle à la tenue du festival ?
Bruno Procopio : Bien sûr il y a une part d’incertitude, liée notamment à la réouverture des lieux d’hébergement et de restauration pour le public qui vient de loin, mais la tenue du festival ne devrait pas être remise en cause. Après plusieurs concerts donnés par différents musiciens et ensembles à partir du 24 octobre, le concert de clôture du Jeune Orchestre Rameau se tiendra le dimanche 31 au soir, avec comme je l’ai dit plusieurs inédits de Rameau. Mais j’ai encore beaucoup de travail pour compléter l’organisation : faire la promotion de notre démarche auprès des musiciens, rechercher des partenariats et des financements complémentaires,...
BaroquiadeS : Merci Bruno de nous avoir accordé cet entretien, et nul doute que ce festival va susciter l’intérêt de nos lecteurs, privés de concerts depuis maintenant presqu’un an...