The Fairy Queen - W. Shakespeare/H. Purcell

The Fairy Queen - W. Shakespeare/H. Purcell ©Arnaud Hussenot - Opéra-Théâtre de Metz Métropole
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Mesdames, Messieurs,
Laissons-nous emmener dans cette folle nuit, où tout peut arriver même l'inimaginable! N'ayez crainte, les «hommes en blouse blanche» ne seront pas là à la fin de la représentation... Pin Pon, Pin Pon...
Réitérant avec le style fantasmagorique employé dans Don Quichotte chez la Duchesse de Boismortier, l'Opéra-Théâtre de Metz Métropole en coproduction avec Contraste Productions, le département du Pas-de-Calais & Centre Culturel de l'Entente Cordiale et la Compagnie Deracinemoa, présente un hymne baroque et féérique dans le pur style anglais mais avec quelques accommodations. A la fin du XVIIe siècle, Henry Purcell compose 42 partitions pour accompagner des pièces de théâtre dont The Fairy Queen - La Reine des Fées écrit en 1692. Ce semi-opéra interprété ce soir puise librement son extrême originalité dans la célèbre pièce Le Songe d'une nuit d'été de William Shakespeare mais également dans une référence littéraire ancienne, la tragédie de Pyrame et Thisbé traitée de façon burlesque, véritable pièce dans la pièce. Ne perdons pas de vue un seul instant cette citation de Shakespeare, «Je tiens ce monde pour ce qu'il est: un théâtre où chacun doit jouer son rôle». L'année 2016 célèbre le 400ième anniversaire de la mort de cet illustre poète-dramaturge.
Comme le soulignera lui-même le metteur en scène lors de l'ouverture, ce songe sera amputé de quelques personnages telle la belle Hermia remplacée par un Boris aux traits plus «gays», d'une partie du texte, de l'acte V tout en conservant les masques - nom utilisé en Angleterre pour qualifier un spectacle ou réjouissance de cour combinant à son apogée les ressources de la poésie et du drame, de l'architecture scénique, du décor, de la musique et de la danse -. Même si une coupe est faite, la substance demeure grâce aux airs et chœurs les plus inspirés de l'œuvre de Purcell.
La trame dramatique, quant à elle, soulève deux intrigues amoureuses, celle qui oppose la Reine des Fées Titania à son époux Obéron le Roi des Elfes, et, celle qui mêle deux couples de jeunes amants athéniens: Lysandre & Hélène, Démétrius & Hermia aux traits féminins bien douteux...une folie de plus?


La réécriture et la composition de cette nouvelle mouture sont signées par deux musiciens de talent Arnaud Thorette et Johan Farjot. La mise en scène est confiée à un fabuleux «déjanté» dans son sens le plus noble, Laurent-Guillaume Dehlinger étant aussi le responsable de l'adaptation du livret. Il livre ici une intarissable inventivité empreinte d'une subtile délicatesse dans cette divagation chimérique. La forêt est symbolisée par des portants à vêtements où sont accrochés quelques 180 costumes de réforme. Planant au dessus de nos têtes, la folie permet allégrement d'imaginer ce décor sylvestre, et ce sans ingestion de substance champenoise à petites et fines bulles, nectar des fées et elfes...
Un maestro en tenue d'apparat fait son entrée. L'image est bien trop lisse pour être vraie. Il se dresse fier comme Artaban devant son pupitre. Nous sommes tous suspendus à sa baguette, illusion encore puisque c'est une petite cuillère. L'Ensemble Contraste formé de quatre musiciens se lance dans une mélodie aux impulsions jazz. Point d'ouverture musicale résumant les principaux airs, cela serait trop sage. Dépité, le maestro se lance dans un monologue loufoque en se préparant un café façon «What else!». Selon ses propos, «l'être humain est capable de merveilles mais également du pire.» Il faut être fou pour avoir la prétention d'interpréter un opéra à 12. Prenant la voix d'outre tombe du Général, il qualifie les quatre instrumentistes de « quatre derniers musiciens de Moscou» et ajoute sobrement «on est tous dans la même galère». Il n'y a plus de doute possible, le ton décalé règne! Le délire s'empare de nous tous!


Tout au long de ce spectacle original, les dialogues d'artistes de rue en prise constante avec le public s'entremêlent avec les parties chantées. Les comédiens de la Compagnie Deracinemoa portent leurs personnages aux multiples facettes avec brio et éloquence. Franck Lemaire campe avec conviction un Obéron empli de jalousie et se montrera fort attendrissant dans son rôle du malheureux amant Lysandre poursuivi par sa belle, non, son bel amour Boris tenu par Laurent-Guillaume Dehlinger.

Titania
Titania - Jean-Luc Prévost - © Arnaud Hussenot - Opéra-Théâtre Metz Métropole

Le trublion Jean-Luc Prévost dans ses rôles successifs du maestro déjanté, de la merveilleuse reine des fées Titania et de l'amant Démétrius «Fuis moi je te suis, suis moi je te fuis» entraîne chaque spectateur dans sa folie passagère. Si la Comédie devait prendre visage humain, elle s'accommoderait aisément du ravissant minois royal paré de sa magnifique robe de fée aux camaïeux rosés! Dotée de pouvoirs surpuissants, «l'innocente» propulse par sortilège son époux couronné Obéron sur un canapé, qui se brise sous la force du coup asséné. La seule femme Mathilde Labé, une vraie vraie femme ... ouf!, incarne une Hélène criante de vérité au ton juste et naturel. Elle s'emportera légèrement dans son rôle fantasque de Puck, le lutin.


Il serait injuste de ne pas évoquer l'excellent travail des «quatre musiciens de Moscou» à savoir Arnaud Thorette au violon, Pascal Mabit au saxophone, Stéphane Logerot à la contrebasse et Johan Farjot au clavecin et fender-rhodes (piano électrique). Ils se montrent tout aussi à l'aise dans le jazz, la création contemporaine et bien évidemment dans les parties à proprement dites baroques. Cela montre sans conteste possible leurs qualités de musiciens accomplis. Concernant les voix, l'homogénéité de la distribution est parfaite. Aucune voix ne prend le dessus, chacun concourt au renforcement de la ligne de chant de l'autre. La pétillante soprano, Camille Poul, aux qualités scéniques indéniables nous subjugue dès ses premières vocalises dans le duo formé avec le baryton sur l'air (Come come, come lets us leave a town). Elle n'a aucun effort à faire pour que nous la suivions hors de la ville. Tout au long des ses interventions, sa voix souple se montrera brillante et touchante notamment dans ses pleurs (O let me ever, ever weep). Thibault de Damas, grâce à sa robuste voix de baryton, régale l'auditoire dans sa berceuse adressée à Titania (hush, no more, be silent all). Sa projection est ferme, ses graves d'une belle profondeur. La mezzo-soprano Albane Carrère et le ténor Jeffrey Thompson complètent harmonieusement cette distribution vocale. Ils apportent chacun grâce à leur timbre un tempérament dramatique bien affirmé.



Les Alsaciens
Les Alsaciens - © Arnaud Hussenot - Opéra-Théâtre Metz Métropole

Malgré les nombreuses divagations - petite publicité pour le géant du meuble suédois lorsque les artistes paraissent en peignoir blanc, l'interprétation de la musique de film La Boum avec en arrière décor une boule à facettes et d'une des chansons mythiques datant de 1988 Eternal Flame (Close your eyes, give me your hand, darlin') du groupe The Bangles, le public invité à danser, ou bien encore l'apparition d'un couple d'Alsaciens en costume folklorique aux clichés régionalistes Bock de bière et bretzels - l'ensemble de cette œuvre jouée ce soir n'en demeure pas moins de grande qualité tant par son côté festif décalé mais ô combien bienfaiteur en ces temps. Il est bon et salutaire pour l'être humain, capable du pire comme du meilleur, de se réfugier le temps d'une folle nuit dans le monde de l'illusion, de la magie.
Et tout cela, nous le devons à l'ensemble de ces artistes qui se sont généreusement donnés sans retenue pour cette dernière représentation de The Fairy Queen à l'Opéra-Théâtre de Metz-Métropole. En guise de final et de remerciements, artistes et public ont entonné Close your eyes, give me your hand afin encore de perdurer ce songe d'une nuit...



Publié le 22 mars 2016 par Jean-Stéphane SOURD DURAND