Marin Marais - Pièces Favorites

Marin Marais - Pièces Favorites ©Arsenal de Metz
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Le concert proposé ce soir par l’Arsenal de Metz (57) invite les auditeurs à se plonger dans l’univers d’un des musiciens les plus emblématiques du Siècle d’or : Marin Marais, au travers de ses pièces pour viole.
La viole (ou viole de gambe, littéralement «viole de jambe») est un instrument de musique à cordes et à frettes joué à l’aide d’un archet. Elle se distingue de la famille des violons par sa tenue sur ou entre les genoux, le nombre de cordes entre 6 (ou parfois 7) au lieu de 4 pour les violons, l’accord en quarte et tierces, la présence de frettes divisant la touche comme sur le luth ou la guitare, l’archet adoptant un aspect légèrement convexe un peu en forme d’arc impliquant des coups d’archet opposés. La tenue de l’archet permet de modifier la tension des crins. La viole de gambe existe, tout comme les différentes voix humaines, en tailles disctinctes : dessus de viole, viole de gambe alto, viole de gambe ténor, basse de viole, grande basse de viole, contre basse de viole.

Lorsque le nom de Marin Marais est évoqué, une association s’établit assez rapidement avec le film Tous les matins du monde d’Alain Corneau, adaptation cinématographique (1991) du livre éponyme de Pascal Quignard publié la même année. Le scénario s’appuie sur des faits historiques de la vie de ses deux personnages principaux, Jean de Sainte-Colombe (ca. 1640-1700) et Marin Marais (1656-1728), deux violistes du XVIIe siècle. Le metteur en scène ne vouera son film qu’à la musique en «gommant» par exemple les aspects politiques de l’œuvre telle la destruction de l’abbaye de Port-Royal en 1711 dans le but de faire disparaître les jansénistes du royaume.
Pour oublier la mort de son épouse, M. de Sainte-Colombe donne des cours de viole, instrument de musique à cordes frottées avec un archet. Il accepte comme élève le jeune Marin Marais. Le maître fait preuve d’une extrême sévérité à son égard. Il qualifie sans détour la manière de jouer de Marais: «sa technique est bonne, mais ce n’est pas de la musique.» Les propos peuvent être durs, mais ils ne sont pas moins révélateurs d’un certain trouble planant chez de Sainte-Colombe. Est-ce le fantôme de sa femme qui est responsable de ce bouleversement ?
Les cours s’enchaînent, ouvrent l’esprit du jeune disciple. Ils portent bien évidemment sur la musique (solfège, théorie et pratique), mais également sur des notions plus abstraites comme la musique et le vent, les sons qui les entourent, ou bien encore le lien entre la musique et le silence. Ils prendront fin 6 mois plus tard pour de futiles motifs…


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Portrait de Marin Marais par André Bouys, XVIIe siècle – Paris, bibliothèque de l’Opéra –archivesdefrance.culture.gouv.fr – © Costa / Leemage

Né le 31 mai 1656, Marin Marais devient enfant de chœur à l’église Saint-Germain-l’Auxerrois de Paris à la mort de sa mère en 1666. En 1672 du fait de la mue, il quitte le chœur et prend des leçons de musique auprès de François Chaperon en compagnie de Michel-Richard de Lalande, puis des cours de viole près de Sainte-Colombe. A partir de là, il occupe différentes fonctions : membre de l’orchestre de l’Académie Royale de Musique, dirigée par Jean-Baptiste Lully - Giovanni Battista Lulli - (vers 1675), charge de joueur de viole de la musique de la Chambre du Roi (de 1679 à 1725). Il participe à la création d’Atys de Lully en 1676 et suit des cours de composition auprès du Florentin.
Sa carrière de compositeur semble ne débuter qu’en 1685, lorsqu’il compose des pièces pour viole. Un premier livre d’Airs de viole paraît en 1686, livre dédié à Lully. Il écrit également l’Idylle dramatique représentée devant toute la Cour à Versailles en avril 1686. Cette œuvre constitue un véritable hymne à la monarchie, dans lequel la France et la Victoire célèbrent le Roi Soleil. Son adoration envers le roi (et réciproquement) est telle que Marais restera plus de 40 ans à son service. Il innove dans le genre musical en composant les Pièces en trio pour flûtes, violons et dessus de viole en 1692. Il peut être en considéré comme l’un des précurseurs. L’année suivante, il signe en collaboration avec Louis Lully – fils de feu Lully – l’opéra Alcide sur un livret de Jean Galbert de Campistron. En 1701, Marais se voit confier la direction d’un colossal ensemble, 250 musiciens et chanteurs, dans une cérémonie destinée à la guérison du Grand Dauphin, Louis de France. Environ trois ans plus tard, il remplace André Campra à la direction – «batteur de mesure» selon l’expression utilisée à l’époque – de l’Opéra. En 1706, il crée Alcyone, tragédie en musique sur un livret de Houdar de la Motte. L’échec de sa dernière œuvre Sémélé et l’arrivée de nouveaux compositeurs de l’école française de viole – Louis de Caix d’Hervelois, Antoine Forqueray – provoquent un certain effacement de Marin Marais. Cependant, il continuera de jouer à la Cour jusqu’à la mort de Louis XIV en 1715. Il s’éteint à son tour le 15 août 1728 à Paris.
Si nous devons ne retenir qu’une seule chose de ce compositeur de génie, ne serait-ce pas en premier lieu le nombre de pièces pour viole? En effet, Marais a composé 600 pièces réparties en 5 livres constituant de loin la plus grande œuvre écrite pour cet instrument.

C’est d’ailleurs le projet «fou» d’un jeune gambiste français, François Joubert-Caillet, d’enregistrer la totalité des pièces de viole de Marin Marais et ce depuis 2014. L’idée lui a été soufflée par le directeur du label Ricercar, Jérôme Lejeune. Il est le second à se lancer dans ce projet d’envergure après Jean-Louis Charbonnier. Ce gambiste a été entre autre assistant musical sur le film d’Alain Corneau. Il devait initier à la viole de gambe les acteurs Gérard Depardieu et son fils Guillaume, Jean-Pierre Marielle, Anne Brochet.
En guise de mise en bouche et pour nous faire patienter, François Joubert-Caillet nous livre quelques pièces dites favorites selon l’annonce du concert de ce soir. A la tête de son ensemble créé en 2009, l’Achéron, il convie l’auditoire à un voyage «initiatique» entre deux mondes, celui des vivants et celui des morts. D’ailleurs, l’ensemble trouve son nom dans la mythologie grecque. L’Achéron est un des fleuves du royaume des Enfers, traversé par Orphée pour sauver Eurydice. Les musiciens composant cet ensemble, viennent de divers horizons (Scola Cantorum Basiliensis, Conservatoires nationaux de Lyon, de Paris et européens comme ceux de Bruxelles, La Haye, Amsterdam) .
Les notions abstraites voire philosophiques tels que l’idéalisme, la réalité, le passé, le présent prennent vie grâce à l’interprétation soignée que nous livre cet ensemble.
Le corps du concert s’articule autour des pièces favorites, véritables œuvres d’anthologie. Ces pièces sont majoritairement composées en l’hommage du Roi Soleil sous forme de suites de danses à la française (Allemande, Chaconne, Courante, Sarabande, …), à l’intérieur desquelles sont parfois glissées des pièces dites de caractère (L’Arabesque, Le Badinage, La Rêveuse,…). Les pièces de caractère sont pour la plupart construites sous la structure de couplet-refrain, appelée autrefois « forme rondeau». Les 4 musiciens de l’ensemble sont les dignes serviteurs de la musique française traditionnelle. Ils restituent à la perfection les nombreuses nuances de cette musique. Leur quête est noble, celle de l’harmonie simple et claire privilégiant ainsi leur compréhension. A la manière d’un Lubin Baugin – ami de Marais – peignant sa nature morte, Le dessert de gaufrettes, ou d’un Georges de La Tour – peintre lorrain – à la douce lumière d’une chandelle, ils dessinent grâce à leur palette expressive une toile intimiste où règnent la poésie, la mélancolie.


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Le dessert de gaufrettes, Lubin Baugin © RMN-Grand Palais / Gérard Blot (Photo)

La magie opère dès les premières notes du Prélude en harpégement, Livre V. En soliste, François Joubert-Caillet indique le ton. Tout au long du concert, il sera en constante recherche du sens des pièces, de la bonne posture. Regardons avec attention et soin la manière de tenir son archet. Sa main droite se déplace avec élégance, douceur «énergique». Il privilégie le sens poétique du phrasé dans La Guitare (Livre III) et Fête champêtre (Livre IV) adoptant un registre rond voire moelleux.
L’Arabesque et La Rêveuse (Livre IV) nourrissent les oreilles des auditeurs de notes harmoniques aussi fines les unes que les autres. Voilà un bien étrange paradoxe, écouter les couleurs mélodiques… Ressentirions-nous les teintes chaudes des tableaux de Baugin ou de La Tour ? Une magnifique cohésion instrumentale s’impose de fait dans la suite en la mineur, Grand ballet (Livre III). Les violes tenues par le chef et sa complice Sarah van Ooudehove se jettent corps et âme dans un frénétique discours soutenu par le claveciniste Philippe Grisvard. Effet recherché ou non grâce au couvercle brillant du clavecin, il était possible d’observer de la salle son agile doigté survoler avec légèreté et précision le double clavier. Quel régal! Les deux violistes «réinventent» le son à chaque articulation, respiration lors de la Courante à deux violes en sol majeur et de la Sarabande à deux violes en ré mineur contenues dans le Livre I. Ils soufflent une dynamique impulsion, les pas de danse royaux envahissent la scène. Face à cette profusion de danses, la sobriété prend place dans le dernier mouvement de la suite en mi mineur, plus connu sous le nom de Tombeau de M. de Sainte-Colombe, (Livre II). Les musiciens rendent un vibrant hommage au célèbre violiste Jean de Sainte-Colombe, pour qui Marais a composé ce mouvement. Chaque pièce fait preuve d’une personnalité propre. La musique est personnifiée. Dans les Couplets de Folies (Les Folies d’Espagne, manuscrit d’Edimbourg, MS9467), la viole occupe la première place comme une voix solo sur le schéma harmonique, tandis que Miguel Henry au théorbe joue la partie de basse (continuo). Chaque couplet s’inscrit en deux parties de 8 mesures, dont la première se termine sur une demi-cadence et la seconde sur une cadence parfaite. De nouveau, la mélancolie nous envahit avec Voix humaines (Livre II). Le discours est si profond que nous pourrions entendre toutes les inflexions de la voix humaine.

Saluant le travail d’orfèvre réalisé par François Joubert-Caillet et son ensemble l’Achéron, le public a généreusement ovationné les artistes. Face à cette touchante sincérité, ces derniers ont offert LA pièce parmi toutes, Le Badinage (Livre IV).
Tout au long de ce concert, les musiciens ont taillé de leur sueur les facettes de ce morceau de carbone pour en tirer le plus pur des diamants. Pour ceux qui n’ont pu admirer ce joyau, il vous est possible de vous procurer le disque des Pièces Favorites interprétées ce soir, sous le label Ricercar en date de février 2016. Cet opus est un préambule au Premier Livre des Pièces de viole qui sortira au printemps prochain.
Rappelons que l’Achéron est en résidence à l’Arsenal…



Publié le 28 oct. 2016 par Jean-Stéphane SOURD DURAND