Loves Farewell - François Joubert-Caillet & Lila Hajosi
©François Joubert-Caillet, lyra-viol & Lila Hajosi, mezzo-soprano © JSSD Afficher les détails Masquer les détails Date: Le 05 juin 2020
Lieu: Concert privé dans le cadre de la présentation du programme Loves Farewell - Nancy (54)
Programme
- Loves Farewell
- John Dowland (1563-1626) & Tobias Hume (1569-1645)
- Come again ! Sweet love doth now invite (Dowland)
- The Spirit of gambo (Hume)
- Alaas, poor men (Hume)
- Deth (Hume)
- Flow my tears (Dowland)
- Life (Hume)
- Captaine humes Pavan (Hume)
- If my complaints could passions move (Dowland)
- A souldiers Resolution (Hume)
- What greater griefe (Hume)
- Loves Farewell (Hume)
- Now o now, I needs must part (Dowland)
Distribution
- François Joubert-Caillet, lyra-viol
- Lila Hajosi, mezzo-soprano
Le triumvirat musical : musique, artistes et public …
En ces temps où la Musique a cessé de vivre dans les salles de spectacle, permettez-nous de vous faire partager un moment exquis, surtout rare, vécu il y a quelques jours. Même si le caractère de l’instant comparé à l’échelle du temps est « bref », il n’en demeure pas moins vivifiant !
Répondant à l’invitation d’une amie, Claire-Lise, nous avons eu l’immense bonheur d’assister à un concert privé évoquant l’atmosphère des salons bourgeois du XVIIème siècle. Un concert, certes en comité très restreint mais un concert ! L’initiateur de cette sérénade n’est autre que le célèbre violiste François Joubert-Caillet. En perpétuelle exploration musicale, il ne cesse de nous surprendre et de nous émerveiller à chacune de ses prestations. Ce soir, c’est encore le cas ! Il nous présente son nouveau programme intitulé Loves Farewell dont le thème directeur est l’amour triste, mélancolique. Il confronte deux visions distinctes de la musique nourries de la querelle entre John Dowland (1563-1626) et Tobias Hume (1569-1645) quant à l’instrument « idyllique » pour accompagner la voix. Le premier ne jure que par le luth, au son caressant. Le second lui préfère la viole de gambe au timbre princier.
Bien au-delà de leur dissension musicale, les deux compositeurs ont connu une destinée quasi-similaire. Comme lésés de leur génie et accessoirement de leur œuvre, ils ont souffert de ne pas être reconnus. Une certaine frustration les unit…
Compositeur et luthiste talentueux, John Dowland sert successivement, de 1579 à 1584, les ambassadeurs d’Angleterre à la cour de France : Sir Henry Cobham (1537-1592) et Sir Edward Stafford (1552-1605). En 1584, il rentre en Angleterre. Il vise le poste de « musicien pour le luth » à la cour d’Angleterre (sous le règne d’Elisabeth Ière, 1533-1603). Echec cuisant ! Il quitte Londres pour Cassel, Venise, Florence et Nuremberg. A son retour (fin 1596 - début 1597), il présente derechef sa candidature. Nouveau revers ! Il s’installe à Copenhague où, de 1598 à 1606, il est luthiste à la cour du roi Christian IV (1577-1648). Rentré à Londres, il est employé par Theophilus Howard, Lord Howard de Walden (1584-1640). Dowland n’obtient qu’en 1612 le poste, convoité depuis si longtemps, auprès du roi Jacques Ier (1567-1625). Cette consécration tardive coïncide avec la fin de la période de composition de Dowland.
Son œuvre est féconde : des pièces instrumentales (pour luth seul ou pour consort de violes avec accompagnement de luth), des pièces vocales accompagnées au luth, ainsi que des psaumes. Dowland publie également trois livres de chansons et d’airs : The first Booke of Songes or Ayres en 1597, The second Booke of Songes or Ayres en 1600 et The third and last Booke of Songes or Ayres en 1603. Le premier opus constitue l’un des plus importants et influents recueils de l’histoire de la musique pour luth. Axiome encore admis de nos jours !
François Joubert-Caillet et Lila Hajosi joueront quelques airs, extraits des deux premiers ouvrages. Les pièces, interprétées ce soir, ont été arrangées pour viole.
Le profil de Tobias Hume apparaît comme plus atypique même s’il connaît un sort semblable à celui de Dowland : la frustration ! Compositeur et violiste, il sert comme capitaine (un mercenaire en somme !) dans les armées de Suède et de Russie. Sa qualité d’excellent interprète de viole de gambe prévaut sur celle de compositeur. Malgré ses états de service et son génie musical, Hume ne parvient pas à subvenir à ses besoins. En 1642, il adresse une pétition aux lords du Parlement dans laquelle il confesse « ne plus supporter cette misère, car je veux de la viande, des boissons et des vêtements […]. »
Malgré une carrière vouée aux armes, sa production musicale est conséquente. Il laisse plus de cent dix pièces écrites pour une, deux ou trois violes et de nombreux airs (à texte). En 1605, Hume publie The first Part of Ayres, également connu sous le nom de Musicall Humors. Il s’agit du premier recueil de l’histoire de la Musique écrit pour viole seule. Dans la préface, il porte une estocade à son contemporain, ravivant ainsi la vieille querelle : « Et de ce jour, la noble viole de gambe pourra avec aisance rendre une harmonie tout aussi variée et artificieuse que celle du luth ». S’ensuit le second volume, dénommé Captain Humes Poeticall Musicke dans lequel il développe vingt-cinq pièces du premier livre en les destinant à des effectifs variables. François Joubert-Caillet et Lila Hajosi nourriront le concert avec quelques extraits des deux recueils.
Evoquant ces deux artistes, relevons la double originalité du concert. Ils signent, ici, leur toute première collaboration (ce après maintes propositions manquées…). La première fois aussi que le violiste joue de cet instrument, alors que le dessus de viole a ses faveurs en temps ordinaire. La lyra-viol est habituellement dévolue à d’autres musiciens de son Ensemble, L’Achéron, lorsqu’ils sont réunis en consort, telle Amélie Chemin sur leur dernier CD : A Consort’s Monument.
François Joubert-Caillet précise : « La lyra-viol est la viole soliste d’Angleterre autour de 1600, elle est plus petite que la basse du consort, ce qui permet de jouer et de mélanger mélodie et accords. C’est par cet instrument et son répertoire britannique que toute l’identité de la viole au XVIIème siècle s’est développée et a donné plus tard les musiques de Sainte-Colombe, De Machy, Marin Marais, etc. On a tendance à oublier que la viole française est très inspirée de la facture et du répertoire anglais, d’ailleurs les premières violes françaises dans la seconde moitié du XVIIème siècle étaient des violes anglaises dont on changeait le manche pour le « franciser » et ajouter une septième corde ! »
L’instrument ne diffère des autres basses de violes que par des détails mineurs. En 1659, le compositeur et violiste anglais Christopher Simpson (1605-1669) décrit la lyra-viol comme « un instrument possédant des cordes plus légères et un chevalet moins arrondi que les autres violes » (in The Division Violist, or the Art of playing upon a Ground, recueil d’instructions pratiques sur le jeu de la viole de gambe). Une précision est apportée en 1667 par le théoricien de la musique John Playford (1623-1686) dans son ouvrage A brief introduction to the Skill of Musick. L’instrument est le plus petit des trois types de basse de viole : consort bass, division viol et lyra-viol.
Le XVIIème siècle est le théâtre d’une mutation musicale. La monodie traditionnellement accompagnée par la basse continue (dite continuo) détrône la polyphonie. La ligne grave est étayée par la basse de viole et/ou le luth qui ornent le « discours » d’improvisations. Les deux instruments soutiennent la voix.
Si Dowland et Hume n’ont cessé de se quereller, François Joubert-Caillet et Lila Hajosi, quant à eux, apparaissent comme des messagers de paix. Ils exhalent la musique des deux belligérants ! Langueur et affliction sont source d’inspiration…
Lila Hajosi, la jeune mezzo-soprano marseillaise, est tout simplement sublime. Savourons avec gourmandise la manière de déclamer le texte dans un anglais restitué dans la prononciation du XVIIème siècle. Chaque mot demeure en permanence distinct et compréhensible ne souffrant d’aucune déformation voire d’altération. Soulignons d’autant plus sa performance. Elle travaille sans filet, si vous nous permettez l’expression, tout comme François… La chanteuse ne peut s’appuyer sur l’acoustique de la salle, celle-ci étant le « simple » salon d’une maison. Lors de sa propagation, une onde sonore est soumise à plusieurs phénomènes dits de réflexion, de diffraction, de diffusion ou d’absorption par les obstacles rencontrés. L’onde directe et les ondes réfléchies se superposent et contribuent ainsi à la qualité du son perçu. Ce qui n’est naturellement pas le cas ici !
La voix chaude de Lila nous enveloppe dans Come again ! Sweet love doth now invite de Dowland. La gracilité nous envahit ! Les pièces de Hume The Spirit of gambo et Alaas, poor men révèlent le timbre brillant de la mezzo-soprano. Placés près d’elle, nous pouvons voir le façonnage du moule, le soin apporté à la fabrication du son. L’attaque des consones est douce. En zone de confort vocal, les médiums sont particulièrement mélodieux nourrissant Flow my tears (Dowland). Les aigus aériens virevoltent sur les paroles de If my complaints could passions move (Dowland) et What greater griefe (Hume). Retiendrait-elle sa puissance vocale aux vues de la configuration du salon ? Qu’elle n’ait crainte, nos oreilles – il va sans dire conquises – absorberont cet élan d’énergie… Elle assène le « coup fatal » d’adieu Now, oh now, I needs must part (Dowland) emportant avec elle notre cœur.
Lila Hajosi a brillé à chacune de ses prises de chant grâce à une vaste amplitude vocale (graves ronds, médiums harmonieux et aigus étincelants). Les ornements ont été utilisés avec intelligence ponctuant, de-ci de-là, la mélodie. La gestuelle mesurée, voire pesée, a accentué la force expressive du texte. Sa voix s’est posée avec délicatesse sur les cordes de la lyra-viol.
Et que dire de la prestation de François Joubert-Caillet sans ne tomber dans la redondance, la superfluité ? Nous avouons sans détour notre admiration pour cet artiste. Doté d’une sensibilité qui ne nous est pas étrangère, il chérit la Musique comme un père aimant tendrement son enfant. Ce don de soi nous le ressentons avec force. Il le porte, l’inspire et nourrit sa musique… Aux côtés de Lila, il a su s’effacer tout en restant présent, confirmant le propos de Hume. La viole est bien L’INSTRUMENT pour accompagner la voix. L’équilibre viole-voix est absolu !
Sa parfaite maîtrise se révèle lors des pièces purement instrumentales. Même si le son de la viole peut-être qualifié de rustique, il n’en demeure pas moins attrayant voire fascinant par une harmonisation riche en couleur. Dans Deth (Hume), la tristesse devient tangible, trouvant la voie de nos émotions. Sentiment accru par la finesse de la résonnance ? Le timbre reste clair du fait des frettes qui transforment les cordes comprimées en « cordes à vide » (notes jouées sans le secours d’un doigt de la main gauche). Imprégnons-nous du jeu incarné développé dans Life (Hume). L’énergie lisse le sujet mélancolique de la pièce. Une douce rêverie envahit notre corps lors de Captaine Humes Pavan (Hume). Alanguis, nous nous laissons porter par le son. La plus belle démonstration de l’art de jouer la viole s’accomplit par la pièce A soldiers Resolution (Hume). L’intelligence musicale de François confère à son interprétation la capacité de nous transporter sur le champ de bataille, notamment dans les perceptions et sentiments du soldat Hume. Nous sommes témoins de la marche, de la charge, des salves des cordes et de l’assaut final. Il conclut par le titre éponyme du concert Loves Farewel Hume).
Le violiste maîtrise parfaitement le jeu d’ensemble, le rapport du corps à l’instrument. Nous percevons pleinement les respirations. Sa main gauche jouit d’une totale indépendance des doigts. Observons le placement du bras et de la main, la pratique des regroupements et positions spécifiées. Il excelle entre autre dans le jeu de pizzicato. Le maniement de l’archet est tout autant virtuose : création du son, changements de cordes, liaisons et sons filés, relation vitesse / poids / point de contact. Regardons la manière de tirer et pousser l’archet…
Les deux artistes nous ont offert un plaisir incommensurable, celui d’assister à ce magnifique concert. Nous ne saurons jamais comment les remercier.
Le programme Loves Farewell a ouvert le 34e festival de Saint-Michel en Thiérache le 7 juin dernier. Une ouverture un peu différente, « virtuelle » aux vues du contexte inhabituel que nous traversons… Tous les dimanches jusqu’au 5 juillet, il est possible d’écouter à 11h30 sur Youtube des extraits du concert (extrait n° 1 et extrait n° 2). Un second programme L’orgue concertant et le siècle de la révolution (de Händel aux variations sur la Marseillaise) proposé par Paul Goussot est disponible à 14h sur Youtube et Facebook.
Mais au-delà de toute considération, François Joubert Caillet et Lila Hajosi nous ont transmis leur besoin d’avoir la présence physique du public. Que serait la Musique sans ses indissociables amis que sont les artistes et le public ?
Publié le 19 juin 2020 par Jean-Stéphane SOURD DURAND