Festival eemerging - Ambronay

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La passion et l’excellence des jeunes ensembles

Depuis 2014, le Centre culturel de rencontre d’Ambronay s’associe avec sept autres festivals et institutions musicales européens pour encourager et accompagner les jeunes ensembles européens, dans le projet eeemerging (ensembles européens émergents). Petit festival d’un week-end dans le Festival d’Ambronay, le festival eeemerging est une superbe occasion de découvrir les ensembles sélectionnés. Chaque ensemble est invité à concevoir un programme de 45 minutes pour convaincre les membres du jury professionnel, composé de programmateurs européens et présidé par le chanteur et co-directeur des Arts Florissants Paul Agnew, ainsi que le public qui est également invité à sélectionner son ensemble favori.

Inspiré par le thème du Festival d’Ambronay, Vibrations : Comos, l’ensemble L’Apothéose propose un programme d’œuvres du Baroque allemand combinant harmonie et tension, cosmos et chaos. Les quatre musiciens se montrent tous d’une belle sensibilité, avec une sonorité homogène et douce. Leur équilibre est soigné et leur maîtrise technique est certaine. Si la Sonate « Il soggetto reale » de Jean-Sébastien Bach (1685-1750) est particulièrement réussie, leur interprétation reste toujours très maîtrisée, sage et sans réelle prise de risque qui permettrait de renouveler l’intérêt de l’auditeur. Bien que le discours ne souffre pas de statisme, une direction plus affirmée, voire audacieuse, clarifierait assurément sa compréhension, particulièrement lors de la Sonata prima de Georg Philipp Telemann (1681-1767). Parfois, il est même difficile d’identifier la partie principale de son contre-chant ou de sa transmission d’un instrument à un autre.

L’ensemble Improviso prend également son inspiration dans le thème du festival en choisissant Les Éléments de Jean-Féry Rebel (1666-1747), œuvre composée en 1737. L’introduction Le Chaos est saisissant, même avec ce petit effectif de quatre musiciens. On souhaiterait toutefois un équilibre un peu plus soigné, ainsi que davantage de précision dans les rythmes et la justesse. Ces petits défauts trahissent un léger trac, compréhensible face à tous ces professionnels attentifs. La jeune violoniste particulièrement, dont on regrette les démanchés glissés, ses attaques manquant d’affirmation et le son de son instrument paraissant crispé, malgré son caractère, patent dans ses fusées ornementales. Les échanges imagés et variés des différents mouvements de l’œuvre manifestent la complicité des instrumentistes. Le Caprice final est ainsi particulièrement agréable. En guise de pause, l’ensemble partage sa spécialité, l’improvisation sur trois danses espagnoles interdites au XVIIe siècle. Il s’y montre capable de surprises, de douces caresses ou de rythmes virtuoses. Également composée en 1737, la Sonate en trio en sol mineur de Telemann est à la quête d’un autre équilibre, non pas des éléments du cosmos mais entre musique de cour et musique populaire. Le cantor de Hambourg est vraisemblablement un compositeur difficile pour les jeunes ensembles : les mouvements rapides font certes preuve de virtuosité et d’intentions contrastées, les mouvements lents révèlent les qualités ou les défauts du son et de compréhension du discours. Ici, l’équilibre de l’ensemble est fort douteux : les commentaires, certes aériens, de la flûte à bec étant beaucoup trop présente, ne laissant pas la place aux chants des violon et violoncelle, véritable contre-sens musical de ce mouvement Largo. Le dansant et plaisant mouvement final permet tout de même de finir sur une note agréable.

Le Voci delle Grazie construit son programme autour des Trois Grâces, déesses du Charme, de la Beauté et de la Créativité, voltigeant entre ciel et terre au service de Vénus et évocations charmantes ayant inspiré nombre d’artistes de la fin de la Renaissance, simples mortels bouleversés par l’amour. Les œuvres proviennent de la musique de cour de Ferrare au XVIe siècle, dédiée au premier ensemble de chambre vocal féminin : Il Concerto della Dame. Le trio vocal se montre d’une belle homogénéité, même si cette qualité reste le fruit d’un effort de concentration patent lors des notes finales. Les trois chanteuses sont expressives et communicatrices, palliant ainsi quelques incertitudes de placement de voix. L’accompagnement des trois instrumentistes est attentif aux moindres de leurs intentions. Entre autres, la pause instrumentale Toccata per due liuti d’Alessandro Piccinini (1566-1638) est jolie et reposante, les sonorités douces de la harpe et du luth berçant l’oreille de l’auditeur. La chanson Dormite begli’occhi de Luigi Rossi (1597-1653), est à juste propos, avant la Fan Battagli finale où le trio occupe l’espace scénique et se fait sonore.

D’abord seule sur scène, la chanteuse Grace Newcome débute le programme de son ensemble Rumorum avec une chanson anglaise du médiéval a cappella. Par sa présence captivante, le spectateur est de suite plongé dans l’univers, unique et affirmé, de l’ensemble, spécialisé dans la pratique médiévale. Après que les quatre musiciens aient rejoint la scène, quelques subtiles lumières colorées apporte le petit plus à cette immersion. Le mini-concert ne souffre à aucun moment de temps d’ennui, même si le temps s’écoule avec une douceur délicieuse. L’auditeur ne peut comprendre les textes en moyen anglais ou en anglo-normand, pourtant les deux chanteuses et musiciennes, accompagnées avec une grande cohésion par leurs deux comparses instrumentistes, sont de parfaites communicatrices. Les instruments, fabriqués par le vièliste Jacob Mariani en personne, ont sans doute une sonorité un peu aigre et la justesse n’est pas toujours parfaite, leur sonorité reste pourtant loin d’être désagréable et participe au charme de ce répertoire. Entre autres moments touchants et mémorables, la chanson Þe milde Lomb est un moment particulièrement hors du temps.

L’ensemble El Gran Teatro del Mundo invite le public à découvrir un programme pensé autour du monologue de Sigismond extrait de La Vie est un Songe de Pedro Calderón de la Barca, avec des extraits d’opéras baroques du Grand Siècle français, en trois actes avec prologue et épilogue. Dès l’ouverture de Phaéton de Jean-Baptiste Lully, les six jeunes musiciens se montrent vivants et engagés, avec un instrumentarium très dense : trois basses continues et trois dessus, qui jouent la même partie. L’ensemble se montre fort attentif aux couleurs, particulièrement intéressantes lors du Prélude pour la nuit extrait du Triomphe de l’Amour de Lully. La nuance pianissimo est, sans nul doute, une intention extrêmement difficile, révélant les qualités techniques et musicales lorsqu’elle est réussie. C’est le cas ici : les effets sont efficaces et très beaux, bien que l’on puisse souhaiter encore davantage de présence, d’assurance et d’équilibre – le violoncelle est parfois quasiment inaudible –, sans porter atteinte à la couleur. Globalement, il ressort que la qualité du son et la précision de la justesse n’est pas la priorité du travail de ces musiciens, préférant instaurer des décors et donner un sens dramatique, voire lyrique, à leur interprétation brillante, virtuose et investie.

L’ensemble vocal catalan Cantoria, spécialisé dans le répertoire de l’âge d’or ibérique, propose un programme El Fuego composé des plus belles chansons de la Renaissance espagnole. Mus par des intentions communes et aux apparences spontanées, la chanteuse et les trois chanteurs font preuve d’une parfaite homogénéité, d’une diction précise et de véritables talents de communication avec le public. Les courtes et très sympathiques présentations orales du ténor et chef Jorge Losana manifestent assurément cet esprit de partage. On peut regretter un petit moment de faiblesse, lors d’un trio sans basse paraissant moins sûr et moins juste. L’auditeur se souviendra toutefois certainement des passages rapides impressionnants de prononciation de La Tricotea d’Alonso (ca.1490-1520), l’émouvant muerte du Huyd huyd de Francisco Guerrero (1528-1599), l’amusant et imagé La Bomba de Mateo Flecha (1481-1553) et le sympathique final avec castagnettes No quiero ser monja d’un auteur anonyme. Les chaleureux applaudissements, mérités, annoncent déjà leur Prix du public. C’est chose confirmés quelques heures plus tard par Paul Agnew, toujours heureux de découvrir et de pouvoir encourager de jeunes talents à percer dans le monde difficile mais passionnant de la musique ancienne.



Publié le 06 oct. 2018 par Emmanuel Deroeux